Bonsoir à tous.
Alors que je relis les entretiens de Franquin avec Sadoul pour m'en faire un digest, je comprends de mieux en mieux pourquoi Isabelle, la fille de Franquin, refuse la republication de ces entretiens en considérant que cela donne une image de son père de déprimé, image qu'elle trouve grossit par Sadoul. En lisant simplement, le texte, je trouve que c'est injuste pour Sadoul, car c'est Franquin qui parle. Mais oui, à l'époque; il a un sacré mal de vivre, même si les traitements le font aller mieux. C'est noir, très noir
Petit extrait :
"C’est un état de crise, tu comprends ! Le sommet brutal et douloureux d’une courbe qui ne cesse de monter au fil des années.
D’abord, tu as peur de devenir fou, tu es certain de le devenir. Et puis il y a des phénomènes étonnants. Par exemple, tu es incapable de te coucher dans un lit sans que celui-ci te paraisse en ciment ; tu as beau te retourner, t’installer comme tu peux dans ce lit où tu dors depuis des années, c'est comme si tu étais couché sur du ciment râpeux, et c’est un vrai supplice. L’oreiller le plus doux, les drap le plus soyeux, le plus léger, étaient devenus des surfaces de pierre ; j'étais horriblement foutu, je ne savais plus comment me mettre, un genou au-dessus de l’autre, etc., mes os mêmes. étaient des masses qui pesaient des tonnes. C'est une sensation que je n’avais jamais ressentie auparavant. Évidemment, tu cesses de dormir. Tu entends les oiseaux chanter, deux fois, car les oiseaux chantent deux fois par nuit, les salauds ! et tu sais que le jour se lève, et que tu as encore passé une nuit sans dormir... Tu te crois atteint de maladies diverses et plus ou moins terribles. Tu réveilles ta femme au milieu de la nuit, en lui disant « J’ai ceci, j’ai cela » ; évidemment tu n’as rien, mais on te trimbale de médecin en médecin pour te rassurer... C’est un enfer ! Depuis que j’ai connu ça, je comprends les fous, ceux qu’on voit dans les asiles, repliés sur eux-mêmes, regardant |’intérieur de leurs mains, recroquevillés telles des momies incas : moi, j’ai été comme ça, j'ai été vraiment comme ça !... Et alors, se pencher sur soi-même, raconter sa vie, cela devient pénible ; à chaque mot, il se produit un vide, un manque, un regret, tu me soumets à une torture incroyable !"
Et il y a aussi une petite phrase de sa mère qui a forcément pas du jouer en faveur du livre, sans en rajouter non plus :
"Liliane Franquin. - Je crois que le mariage et l'éloignement d’Isabelle, bien que nous la sachions heureuse, n”a rien fait pour la quotidienne joie de vivre d'André."
Bien à vous, Romuald.