[interview] Turalo, "le Blog de Franquin"

où l'on parle du 9ème art en général...

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[interview] Turalo, "le Blog de Franquin"

Messagepar marcelinswitch » 21 Oct 2009 15:35

Turalo est le dessinateur du Blog de Franquin paru d'abord sur internet et qui vient de sortir en album. Il répond aux questions du forum Franquin.

Image © Baloo - Éric "Turalo" Dérian

- DÉBUTS -

* Forum Franquin: Tu l'as attrapé tôt le virus de la BD ?

Éric Dérian : Très tôt !
Beaucoup plus loin que je puisse me souvenir… Un jour, vers 3 ans, j'ai dit à ma famille que je voulais faire de la BD, et je n'ai jamais changé d'idée depuis.

* Où se situe Franquin dans ton panthéon personnel ?

Turalo : Au top !
Je suis vraiment un très grand amateur de dessins en tous genres, mais Franquin est à mon goût au-dessus de tout ça, car il est l'un des rares à avoir su allier un tel dessin avec un sens de la narration irréprochable.

* As-tu suivi un parcours particulier pour devenir auteur de BD ?

Quelque soit la formation, il y a dans ce métier une grande part d'autodidaxie, nourrie de beaucoup d'influences…
Malgré quelques inscriptions en écoles d'art, j'ai surtout appris mon métier auprès des professionnels que j'ai côtoyé en atelier.

* Tu es également coloriste ?

Oui, le plus souvent sur mon propre travail, mais aussi parfois sur celui des autres, comme Philippe Larbier.

* En 1994, le festival d'Angoulême publie un album "Picasso a disparu", préfacé par un certain André Franquin...


Oui, c'était un album édité par la Caisse Primaire de Charente, à l'occasion du 20ème festival. Parrainé par le FIBD, François Defaye, alors directeur du festival, m'avait fait ce beau cadeau de demander une préface pour l'occasion à Franquin. C'était à la fois une énorme surprise, et presqu'une honte tant j'étais intimidé que mon travail si amateur arrive dans ses mains et soit livré à sa critique. J'ai encore un peu de mal à en faire une fierté aujourd'hui, mais je loue sa bienveillance et sa gentillesse d'alors.

Image Picasso a disparu, l'album de Turalo préfacé par Franquin en 1994


- ÉTAPES -

* A la suite de cela, tu publies quelques gags dans le Journal Spirou. Pourquoi n'as-tu pas continué ?

Suite à "Picasso (…)", lors du festival en question, Tinlot, le "Boss", a tenu à me rencontrer. Il m'a promis du boulot, dans un premier temps pour les rubriques d'animation du journal, et les pages "bouche-trous"… J'ai reçu des scénars pendant quelques semaines, puis un peu moins, puis plus du tout, sans jamais un appel de sa part, puis j'ai eu droit au bout de 9 mois à "Je suis déçu, tu n'as pas eu la progression que j'espérais…".
Il n'avait pas tort, mais aurait pu me suivre un peu. Ça reste un regret. Mais je suis passé à autre chose, j'ai travaillé depuis pour beaucoup d'autres magazines…

* Tu as travaillé aux éditions du Cycliste, c'est là d'où te vient ton surnom ?

J'ai participé aux fondations du Cycliste, sous la houlette de Pol Beauté et Ronan Le Guellec.
Ça a été, longtemps, une très belle aventure ! Puis j'ai épaulé Erwan Guyodo alors qu'il créait la maison d'édition Triskel. Il y avait entre les 2 structures des points de convergence très forts.
Le format des albums, à cette époque, se normalisait autour du format Dupuis, et du nouveau format Soleil/Delcourt, plus grand, plus beau, plus cher. Aucun autre format ne trouvait plus sa place dans les rayons des librairies.

Le Cycliste et Triskel avaient dans leurs cartons des projets de strips, et pas vraiment d'idées pour imposer des petits formats à diffusion sporadique dans les librairies. Je leur ai alors proposé de réunir leurs forces pour créer une collection commune, la collection Tricycle, qui permettait alors d'envisager des sorties simultanées. Il fallait aussi trouver de nouveaux projets pour assurer une périodicité. J'ai alors sorti de mes tiroirs un ancien projet de séries en strips réalisé bien plus tôt pour un concours des Presses Quotidiennes Régionales, que j'ai redessiné et augmenté avec l'aide d'Éric Baptizat, "Turalo le lapin".

Image Image Albums réalisés par Éric Dérian aux éditions du Cycliste

C'étaient les débuts d'internet, et il me fallait alors me créer une boîte mail pro, je choisissais alors naïvement le nom de ce personnage. Et de fil en aiguille, bien après la disparition de cette collection, on écrivait à "Turalo", et plus à "Éric Dérian". J'ai petit à petit disparu au profit de ce lapin idiot. La vie est une chienne.
Mais ça pourrait être pire ! Imaginez qu'au lieu de Turalo, puisque nous en parlions plus haut, j'aie choisi Picasso ? Déjà que certains trouvent que j'ai pris le melon…

* C'est quoi la série Hermine ?

C'est ma première "vraie" série, aux Éditions Glénat, dont Delphine Rieu assurait le scénario, aidée de Jean-Philippe Peyraud et Éric Omond, et qui a connu 3 tomes.
Il s'agissait de gags autour d'une jeune femme célibataire, dans une grande ville, qui papillonnait entre son boulot et les mecs, rêvant du grand amour… C'étaient des thèmes originaux, à l'époque. Trop. Aujourd'hui, il y a des rayons entiers de séries qui y ressemblent.

Image 1er album d'Hermine paru chez Glénat en 1998

* Si je te dis BD-produit, tu me réponds quoi ?

Réalité de marché.
Mais tout le monde gerbe sur ce secteur aujourd'hui, alors que cette branche de la production a toujours existé. Et bizarrement, c'est peut-être aujourd'hui que ça marche le moins bien…
Les éditeurs ne savent plus quel "coup" inventer. Mais c'est leur business.
Ce qui fait de la peine, c'est la qualité des différents produits. C'est souvent consternant. Mais il ne faut pas particulièrement blâmer les auteurs, qui ont souvent trop peu de temps pour remplir correctement les pages de ces albums.
Je l'ai dit ailleurs : il n'y a pas de mauvais sujet, il n'y a que de mauvais éditeurs.
(cf. interview Zoo n°16 p.32-33)

* Ta dernière sortie "Les Ch'tis" a bien marché ?

Heureusement, non !
Ce genre de produit est à auteur interchangeable, je ne l'aurais pas fait, un autre l'aurait fait de toute façon, dans les mêmes contraintes que moi : 3 mois et demi pour remplir un bouquin. C'est trop peu pour un album de facture classique, y'a pas de miracle possible.
Mais c'était quand même un plaisir de travailler pour la première fois avec Laurent Panetier, qui a bien assuré, comme d'avoir un interlocuteur au téléphone chez Soleil quelle que soit l'heure à laquelle on appelle… Ça n'est plus arrivé depuis.
Ceci dit, il s'en est quand même vendu autant en 3 mois de ce tome unique que des 3 tomes cumulés d'Hermine en 5 ans ! Alors, que penser ?

Image Les C'htis sorti en 2008 chez Soleil

- INTERNET -

* Pourquoi passer par internet pour se faire publier ?

Ça n'a pas été le moteur…
Alors que j'étais publié, en presse ou en album, je ne trouvais pas l'occasion de dessiner "pour moi"… J'avais envie d'essayer autre chose. Ça m'a amené au blog, où j'ai expérimenté pas mal de choses pendant quelques années, ce qui a fini par intéresser la jeune maison d'édition Foolstrip, qui m'a proposé de publier en ligne une série hebdomadaire. J'y ai vu une suite logique de mon parcours, et le moyen d'exploiter des techniques que je développais jusqu'alors pour mon plaisir. La boucle était bouclée.

Image Blog de Turalo

* Tu es investi dans le Festiblog je crois...

À corps perdu, même !
La légende voudrait que j'en soit même à l'origine, quand Yannick Lejeune en parle… En vérité, l'idée du Festiblog est née d'une conversation que nous avions ensemble autour des blogs et de leurs lecteurs. Yannick s'est courageusement chargé de toute l'organisation, rejoint depuis par Mike Cesneau, et toute une équipe de bénévoles plus volontaires les uns que les autres, dont je fais encore partie. C'est devenu une sorte de pèlerinage annuel, où nous mettons notre vie entre parenthèse pendant 2 jours, à monter des tentes, porter des tables, des boissons, faire quelques petits dessins et recommencer à monter des tentes, porter des tables…

Image Affiche du Festiblog 2009

* Tu penses que la BD en ligne est l'avenir du secteur ?

"L'avenir du secteur", non. "Un" avenir du secteur, c'est une évidence : la bande dessinée est protéiforme, et a toujours su se décliner sur différents supports. Presse, recueils, livres… L'internet est un nouveau média qui l'enrichira de nouveaux codes et permettra une diffusion encore plus large du travail de nouveaux auteurs.


- LE BLOG DE FRANQUIN -

* Qui est Piak ?

C'est un beau garçon, très présentable et surtout très drôle. Il animait un fanzine gratuit distribué dans les bars de Tours, "Le Coin-Coin du Bar". Chaque nouveau numéro nous faisait marrer, et son blog était du même baril.
Après quelques rencontres, quand Foolstrip m'a demandé de leur proposer un projet et que je me suis épuisé à trouver une idée qui ne venait pas, je me suis tourné vers lui en toute confiance : "Il me faut un projet de série qui tienne la route et les 5 premiers gags scénarisés pour dans 3 jours !"
Et il est revenu d'Italie où il était en vacances avec "Le Blog de Franquin".
Une perle ce garçon !

* D'où vous est venu l'idée de créer un bd sur la "vie" post-mortem de Franquin ?

J'avais répondu dans une interview, quelque part, qu'à mon avis si Franquin était encore parmi nous aujourd'hui, il tiendrait un blog.
Piak a rebondi sur cette idée, me mettant d'emblée dans de petits chaussons, tout en m'offrant un challenge pas piqué des vers : sur un tel sujet, il fallait mettre son ego de côté et ceux qui me connaissent un peu savent que c'était pas gagné d'avance !

Image Hommage à un gaffeur

* Qu'est-ce qui t'a intéressé dans ce projet ?

D'avoir quelque chose de drôle et bien écrit à dessiner, qui correspondait parfaitement à mes envies, mon dessin et ma passion pour les personnages à mettre en scène. C'est rare, une occasion pareille.
Et puis il fallait le faire bien. Alors il ne me restait plus qu'à faire de mon mieux… Et j'ai sué.

* Comment as-tu relevé le défi artistique de caricaturer des auteurs connus en squelettes et de pouvoir quand même les reconnaître ?

Alors ça, ça reste un mystère.
Heureusement, les lecteurs croient reconnaître nos personnages et font naturellement le lien avec les personnalités dont ils sont inspirés… Mais à bien y regarder, ma tâche est assez modeste : le personnage de Franquin est un squelette assez banal, caractérisé par une paire de lunette qui est assez éloignée du modèle que portait Franquin. Il fallait ensuite caractériser les personnages secondaires, avec comme choix efficace de jouer sur les morphologies ou leurs tailles : un crâne plus en longueur pour Hergé, plus tassé pour Goscinny et différents accessoires (le nœud pap' de Morris…). Mais jouez le jeu de remettre aujourd'hui ces personnages en face de photographies des auteurs qui les inspirent, et vous verrez qu'en terme de ressemblance, ça se pose là : je n'ai pas ce talent…

L'explication de ce phénomène tient plus, à mon avis, de la combinaison de mon dessin et du travail de Piak, qui a su donner du corps aux protagonistes de notre récit et leur insuffler très vite une vie de personnages à part entière. Je suis le premier spectateur et le premier surpris par cette magie.

* De voir une série publiée sur le net devenir un album papier, c'est une consécration ou bien le but recherché ?

Ni l'un, ni l'autre.
C'est une vie parallèle. Il ne s'agit d'ailleurs pas à 100% du même matériel.
Cette perspective existait dès le départ du projet, mais nous avons toujours entre-temps privilégié le support numérique, qui était un enjeu en soi.
Je suis à ce jour très fier des deux "produits", et impatient de me remettre à la seconde saison avec l'expérience de ces 50 premières pages derrière moi.

Image Image Les 2 albums du Blog de Franquin : la 1ère version papier de Foolstrip et l'album définitif qui vient de sortir chez Drugstore

* Quelles sont les différences entre la saison 1 du Blog de Franquin, publié sur le site de Foolstrip et cet album ?

La lecture sur écran a ses spécificités, comme la lecture en livre. Et il a fallu remanier entièrement le travail d'origine pour lui donner une seconde vie, un rythme différent, justifiant la disparition de certains passages et imposant la réalisation de nouvelles illustrations… Il fallait vraiment faire un livre, et pas un recueil de planches pré-publiées sur internet.

Déjà, le récit sur internet s'étendait sur 50 pages, et il fallait qu'il habite désormais un livre de 64 pages, plus petites, en préservant une certaine densité de lecture, et un rythme propre. Ensuite, une lecture en livre n'a pas les mêmes exigence qu'une lecture hebdomadaire : les ellipses que l'on peut se permettre d'une semaine sur l'autre ne sont plus aussi pertinentes d'une page d'un livre à l'autre… Il fallait donc souvent recréer un lien qui n'existait pas dans la première diffusion, avec des textes remaniés, voire des cases supplémentaires. Il a d'ailleurs fallu improviser 2 nouvelles pages, en recréer une et en supprimer une autre… Ça a été un sacré chantier.

* T'attendais-tu dès le départ à des possibles critiques de lecteurs de Franquin sur ce projet ?


Bien sûr : dès le premier croquis, nous touchions au sacré !
Mais dès le premier croquis, nous n'avions aucun doute sur nos intentions… Les bases étaient simples : rester dans l'hommage et éviter l'humour noir.
Il a donc fallu souvent se justifier, parfois, mais ça a créé de belles rencontres et des échanges enrichissants. Maintenant que le premier cycle est abouti, j'espère que notre travail parle pour nous et calmera ceux qui doutent encore de nos desseins…


- TECHNIQUE -

* Quelle technique de dessin utilises-tu pour "le Blog de Franquin" ?

Je reste un classique !
Je dessine au crayon, sur papier, et j'encre aux feutres.
Bien sûr, l'ordinateur trouve aussi sa place dans le processus, et me donne quelques libertés supplémentaires pour redimensionner certaines cases ou certains phylactères, gérer la répétition de certaines cases et lettrer aussi.

Image Création d'une case de la page 19 : du story-board à la mise en couleurs

* Et pour la couleur ?

Là, j'utilise uniquement l'ordinateur. J'ai une formation traditionnelle de coloriste, j'ai commencé à travailler sur "bleus" et j'ai aussi quelques planches en couleurs directes à mon actif. Mais mes pots d'encre ne m'ont plus servi depuis très longtemps, non pas que j'y gagne du temps, mais j'y gagne en confort.


- PROJETS -

* Quand doit débuté la saison 2 du Blog de Franquin ?

J'aimerais m'y mettre en novembre, mais je ne pense pas que la publication des premiers gags commence avant janvier sur Foolstrip.
La seconde saison devrait connaître à son tour une édition sous forme de recueil chez Drugstore.

* Franquin doit y réaliser un nouvel album : "La Mort de Spirou", un futur carton ?

C'est ce qui est prévu !
Mais il semblerait que l'issue de ce projet éditorial soit moins aisée qu'il ne le pense pour l'instant… Les éditeurs ne sont jamais contents !

* Y verra-t-on d'autres auteurs "squelettisés" ?

Des auteurs, bien sûrs, mais aussi d'autres personnalités !
Côté auteur, j'aimerais introduire Peyo, bien sûr, mais aussi le grand oublié de ce premier cycle : Will. Et quelques autres auteurs internationaux comme Osamu Tezuka.
Quoiqu'il en soit, Piak reste le grand maître d'œuvre en la matière, c'est à lui qu'il faudrait poser la question.

* Quels sont tes autres projets BD ?

J'ai plusieurs projets en cours en temps que scénariste chez Drugstore, et je continue d'œuvrer sur "Les Blagues Belges" avec Philippe Larbier et Pluk, dont le 4ème tome devrait paraître chez Delcourt dans le courant du premier trimestre 2010.
Côté dessin, je me réserve pour cette seconde saison à venir, car il y a du pain sur la planche !


Merci à Éric d'avoir répondu à mes questions.
Dernière édition par marcelinswitch le 09 Avr 2010 10:26, édité 1 fois au total.
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Messagepar marcelinswitch » 21 Oct 2009 15:37

C'est tout frais !
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Messagepar clermont » 01 Nov 2009 16:34

Merci pour cette entrevue très intéressante ! ;)
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