par Zozo » 31 Mai 2015 18:57
C'est le Fournier poète de Bizu qui avait convaincu Dupuis ; ce dernier avait beaucoup apprécié Le Nid des Marsupilami (et peu goûté à la série des Zorglub) et espérait de Fournier qu'il poursuive dans une veine similaire. Ça n'a pas été le cas car Spirou ce n'est pas ça - ou pas seulement. Paradoxalement, l'histoire que Fournier avait entamé lorsqu'il a été débarqué, La Maison sous la Mousse s'annonçait comme la plus poétique qu'il ai fait jusque là. Sans parler de ses Bizu... Par ailleurs, comme l'a rappelé Marcelin d'autres critères sont entrés en compte ; le rythme de production de Fournier (qui n'est pas particulièrement lent mais dessinait aussi une énigme hebdomadaire pour Ouest France ainsi que divers travaux publicitaires) et l'arrivée des années 80 avec son cortège d'impérissables stratégies marketing, celle nous occupant visant à faire dessiner du Spirou à la chaîne tel un produit en mettant plusieurs équipes sur le coup. Ça n'a heureusement pas été très loin, tout ce qu'il en reste ce sont les malencontreux albums de Broca et Cauvin (qui n'y pouvaient pas grand chose, considérant la liste des charges), la galerie de Spirou monstrueux affichés pendant un temps sur les murs de la rédaction de Gaston (réaction de Franquin à cette nouvelle politique) et le licenciement de Fournier donc, désagréable tant pour les raisons qui l'ont motivé que par la façon dont il s'est déroulé.
Franquin bénéficiant de certaines faveurs : c'est vrai. Jusque dans sa dernière interview (l'indispensable Le Duel Tintin Spirou), Charles Dupuis n'a jamais caché son admiration sans bornes pour Franquin. Jusqu'à inciter les jeunes auteurs à prendre exemple sur lui (comprendre : singer son style), à le privilégier de diverses façons qu'il n'avait jamais réclamé (notamment quant au prix de planche, paniqué au souvenir du départ de Franquin pour Tintin que Dupuis avait vécu comme une rupture affective) et surtout à hiérarchiser ses productions et ses auteurs, Franquin se trouvant évidemment tout en haut de la pyramide... Cette pratique désastreuse a eu de nombreuses conséquences, entre autres le départ de Morris pour Dargaud parce que Dupuis ne lui avait jamais accordé autre chose que des albums souples - ouais je sais, en y repensant ça laisse pantois. Idem pour Tillieux qui n'est pas parti mais que Dupuis n'a pendant longtemps guère plus considéré qu'un romancier de gare.
Quant à la perte d'influence de Dupuis, je ne suis pas tout à fait d'accord ; alors certes ce concept de produire du Spirou en masse a été engendré par l'ineffable Dutilleux & co, le vieux patron ayant fini par déléguer certaines responsabilités. Cependant et c'est manifeste dans les témoignages de l'époque, jusqu'au bout (la revente à Albert Frère) c'est Dupuis qui gardait la main sur toutes les décisions importantes, et sa parole ne souffrait aucune discussion. C'est lui qui a sauvé la mise plus d'une fois à Yann & Conrad parce qu'il appréciait leur travail (ou ils se foutaient bigrement de sa fiole) ; c'est lui aussi qui leur a refusé les albums et qui a fini par les virer quand il n'a plus eu d'autre alternative. Pas de comité de direction, pas de vote, une gestion paternaliste à l'ancienne qui faisait l'identité de Dupuis... Et dont les séquelles se font sentir jusqu'à aujourd'hui.