Bouts de Franquin qui vous déplaisent un peu.

[Flocflocfloc]

En relisant régulièrement l'oeuvre de Franquin, je traverse forcément des passages que je trouve moyens ou maladroits. Soit ils me surprennent, soit il me paraissent normaux et vieillis, représentatifs d'un auteur à ses débuts ou d'un art encore assez expérimental. Et parfois même, ces petits malaises s'avèrent partagés par l'auteur, voire expliqués par les circonstances (parfois expliqués sur ce forum même). Par exemple :

La proposition de Jerry Can. Le "Mésozoïque" m'apparaissait parfois un peu décousu, surtout vers la fin, avec des petites saynettes parachutées arbitrairement, pas tellement liées entre elles, et c'est particulièrement frappant pour l'intervention de Jerry Can : Pacôme le renvoie vertement, puis se retourne tout gaillard alors que d'autres personnages vaquent en arrière-plan. Il y a un effet d'ellipse qui dérange subtilement, comme une marche loupée dans un escalier. Ce n'est pas grand chose, mais c'est sur ce forum que je m'aperçois que cette sensation est justifiée. Dans l'ordre originel, l'apparition et la disparition de Jerry Can sont plus fluides ("cut" sur un autre endroit), ce qui à la fois excuse le désagrément ressenti dans l'album, et lui donne sens. C'est d'ailleurs ce qui me pousse à assumer les petites déceptions : peut-être y a-t-il à chaque fois une raison ?

L'arrestation de Toothbrush. J'ai toujours trouvé que cette scène de "La Corne" trainait un peu, en particulier avec cette pause bizarre sur Toothbrush qui s'imagine en bagnard. Sans revenir sur le policier qui tient son pistolet dans sa poche afin de ne pas traumatiser Dupuis, le petit laïus sur "le flic [qui] finit toujours par pincer son homme" (ah?) me semble tirer à la ligne. Je me demande s'il y a une raison (nécessité d'une ligne de cases supplémentaire? ou d'appuyer la morale de l'histoire?). Bref, cet instant me fait toujours l'effet d'un léger trou d'air dans le récit.

Le racisme d'époque. Il n'y a pas à s'étendre plus là-desus, j'ai déja mentionné mon petit problème avec le Gorille et sa cage aux oiseaux, d'autres ont lancé la discussion sur l'Héritage. Mais tous les auteurs de l'époque, comme nous dans notre enfance, étaient nourris de fictions colonialistes. Il aurait fallu être un génie pour ne pas en être imprégné. Franquin a, par la suite, exprimé bien des regrets et bien de l'embarras pour cet aspect de ses premières oeuvres.

Le marsupilami qui parle. Là encore, Franquin fait plaisir : il est le premier à considérer que ça va un peu trop loin dans l'ajout d'une nouvelle caractéristique au Marsupilami à chaque épisode. Je suis content que ce trait ne lui soit pas resté. Cela dit, dans le cadre de cette histoire, ça passe très bien, et c'est très bien utilisé, avec mystère (j'adore la scène de l'écho nocturne) et humour ("que ma pipe et ma montre sont des appareils photographiques" reste une de mes répliques préférées de la série, et l'un de mes cris de guerre les plus usités).

Seccotine. M'agace un peu. Certes elle tient la dragée haute à Fantasio, et s'avère parfois énervante de compétence et d'efficacité (ce que je trouve sympa), mais elle personnifie parfois un peu trop les clichés phallocrates : femmes au volant, coquetterie, vélléités de redécoration intrusive, etc... Je trouve ce genre de personnage un peu lourd quand il n'est pas explicitement conçu par Gargamel. Je n'ai jamais été très content de la voir apparaître dans l'histoire.

Gaston chez Spirou. Il me met mal à l'aise. Il est trop bête, par rapport au Gaston de chez Gaston. Bien sûr, le personnage a beaucoup évolué, et ses apparitions dans les aventures de Spirou datent de ses débuts, comme personnage bien plus éteint que l'ignénieux visionnaire gaffeur qu'il allait devenir. Mais précisément, le Gaston gaffeur est celui que je reconnais, et le Gaston débile mental de "La Foire aux Gangsters" m'apparaît trop proche du personnage tel qu'un De Mesmaeker se le représenterait.

Le cyclisme à l'envers. Ce point est relevé par Franquin, et ne m'avait pas frappé à la lecture : la course de vélo dans "La Mauvaise Tête" serait bien plus fluide si elle se déroulait dans le sens de la lecture, de gauche à droite. C'est un regret de Franquin, illustré chez Rombaldi par une très convainquante reproduction symétrique d'une page de la course, et c'est une règle implicite de la bande dessinée (malheureusement explicitement théorisée aujourd'hui que la bédé est devenue un Art) que Franquin aurait dû mettre à contribution. Retrospectivement dommage.


Beaucoup d'albums suscitent l'admiration à chaque case, certains comportent des petits trous par-dessus lequels nous jetons des ponts d'indulgence attendrie (pour l'auteur ou pour l'époque). Caressons nos poils à rebours : quels sont les passages ou éléments que vous ne jugez pas à la hauteur du reste ?

[marcelinswitch]

Intéressante étude, même si tes bouts de "Franquin", sont plus des bouts de "Spirou".

Je nuancerais quelques uns de tes exemples :

- Pour "la foire aux gangsters", certes Gaston est assez bête dans l'histoire (mais terriblement marrant) mais ce récit date de 1957, date à laquelle le personnage vient d'être créé, et comme tu le dis toi-même, son caractère, sa nature ne sont pas encore définis.

- Pour "le gorille a bonne mine", comme dans le sujet que tu mets en lien, je ne suis pas d'accord sur l'extrait choisi, que je trouve vraiment sympa.
Sur ce débat savonneux du "racisme" dans les bd d'une certaine époque, je ne rentre pas dans la tendance expiatoire et pas forcément à propos. Bien sûr, avec nos yeux de notre époque, et moi le premier, il y a des trucs qui me dérange ; mais je n'appelle pas ça du racisme mais des clichés.
Moi le cliché qui me dérange beaucoup dans cette histoire, ça doit être d'ailleurs le seul de ce genre dans l'oeuvre de Franquin, c'est l'apparition d'un "boy" (comme dans "Tintin au congo" d'ailleurs).

[Flocflocfloc]

Intéressante étude, même si tes bouts de "Franquin", sont plus des bouts de "Spirou".

C'est juste. Il est plus difficile de trouver des exemples dans les Gaston, ça revient plus à des gags moins aimés (par exemple le gag un peu bancal de Gaston qui filme ses vacances avec une perceuse électrique, pas très bien amené avec l'obligation de mettre Lebrac qui s'esclaffe en guise de chute, ça sent un peu la bonne idée pas très bien articulée).

Mais c'est surtout que plus on avance dans le temps, plus la production de Franquin se perfectionne (je ne compte pas le Franquin post-dépression, qui montre quelques difficultés). Les maladresses se trouvent surtout au début. Gaston est relativement tardif. Quant à trouver un défaut aux Idées Noires...

Il y a aussi des aspects généraux qui me déplaisent. Par exemple, la publicité m'agace toujours, même quand Franquin s'y livre. Et, tardivement, la présence de Franquin lui-même en caricatures me met hors de moi. Je connais l'effet destructeur des auto-caricatures graphiques, et voir Franquin glisser dans ce piège me tord les boyaux. Mais ce ne sont pas à proprement parler des "passages décevants" d'albums...

Pour "la foire aux gangsters", certes Gaston est assez bête dans l'histoire (mais terriblement marrant) mais ce récit date de 1957, date à laquelle le personnage vient d'être créé, et comme tu le dis toi-même, son caractère, sa nature ne sont pas encore définis.

Oui. C'est complètement subjectif, mais c'est en tant que lecteur tardif que je ne trouve pas beaucoup de plaisir à croicer "ce" Gaston chez Spirou. Je suis conscient que c'est un réflexe anachronique, mais je n'arrive jamais à le dépasser complètement à la lecture.

Pour "le gorille a bonne mine", comme dans le sujet que tu mets en lien, je ne suis pas d'accord sur l'extrait choisi, que je trouve vraiment sympa.

Tu ne trouveras nulle part de scène similaire avec des adultes blancs réagissant de cette façon à leur libération. Il y a un côté terriblement paternaliste, qui est certes un cliché récurrent de la fiction coloniale (le blanc bienveillant face au mauvais blanc, les deux devant des indigènes puérils dont il n'est pas gentil d'exploiter la niaiserie congénitale), mais c'est un cliché raciste, parce qu'il est fondé sur l'attribution à une catégorie humaine ("les Africains") de caractéristiques infantiles. Prends les deux Chahutas tardifs qui font face à Backalive, et imagine-les libérés d'une cage. Les réflexions condescendantes de Spirou et Fantasio auraient été accueillies d'une volée de flèches dans l'arrière-train. Imagine aussi des Champignaciens libérés, je doute qu'ils se seraient éparpillés en gambadant comme des gazelles, devant des commentaires du genre "hahaha sont-ils mignons" et "ça vaut de l'or". Les esclaves de "Le gorille a" ont droit à un régime spécial.



Bon, à part ça, je ne suis certainement pas le seul à apprécier certains passages moins que les autres, si ? Personne d'autre n'a jamais de réserve devant telle ou telle case de chez Franquin ?

[Elaoin]

Ce qui me déconcerte, c'est la collaboration graphique Franquin - Roba (même si l'entente était parfaite entre les deux hommes, au delà de la salutaire entraide pour un Franquin éprouvé) dans Tembo, les hommes bulles et autres petits formats; la différence de style me dérange (je respecte beaucoup Roba) ce contraste est tel que je n'ai aucune difficulté à distinguer le travail propre à notre maître; quel dommage qu'il ne puisse pas revendiquer la globalité de l'oeuvre;
La contribution de Jidehem en revanche ne me dérange pas, elle paraît naturelle, dans la continuité et dans l'esprit de Franquin, comme celles des décors de Will, on y perçoit une homogénéité de style et d'atmosphère. Roba en a cependant été très flatté ...

[jimmyraker]

En ce qui concerne le racisme ... C'est dit et répété : il faut remettre la bd dans le contexte ! Même si Franquin et Hergé ne sont pas raciste ils ont baignés dans une atmosphère qui font qu'ils se sont subis des mauvaises influences !

[marcelinswitch]

Ce qui me déconcerte, c'est la collaboration graphique Franquin - Roba (même si l'entente était parfaite entre les deux hommes, au delà de la salutaire entraide pour un Franquin éprouvé) dans Tembo, les hommes bulles et autres petits formats; la différence de style me dérange (je respecte beaucoup Roba) ce contraste est tel que je n'ai aucune difficulté à distinguer le travail propre à notre maître; quel dommage qu'il ne puisse pas revendiquer la globalité de l'oeuvre;
La contribution de Jidehem en revanche ne me dérange pas, elle paraît naturelle, dans la continuité et dans l'esprit de Franquin, comme celles des décors de Will, on y perçoit une homogénéité de style et d'atmosphère. Roba en a cependant été très flatté ...

Tu veux dire que le style de Roba est trop visible, par rapport à celui de Franquin, dans ces aventures ?

[Elaoin]

Tu veux dire que le style de Roba est trop visible, par rapport à celui de Franquin, dans ces aventures ?

En d'autres termes, oui. Le contraste est trop marqué, il l'est probablement moins entre Fournier et Franquin, voire avec Seron, dont le "coup de patte" s'en rapproche; mais ce ne sont plus les mêmes décennies. Roba et Franquin sont avant tout de vieux amis complices, et c'est peut-être là le plus important dans une collaboration;

[Brian Addav]

Il faut prendre en compte une donnée temporelle concernant Tembo tabou!

Quand l'album sort, cela fait presque 20 ans que cette histoire a été dessinée.
(peut-être moins, je n'ai plus les dates en tête).

Donc oui, le style "Tembo Tabou", détonne dans les albums de la série mère, là où il est placé.
S'il était sorti en n°10 ou 11, ç'aurait été moins flagrant. Si tu regardes les petits formats, c'est aussi du Roba. Mais ça détonne moins.

On est pas du tout à l'époque du style "final" de franquin pour spirou.

[Elaoin]

La datation de Tembo (avec ce décalage) et celle des petits formats ou des hommes bulles est connue, rapportée dans "chronologie d'une oeuvre"; le contraste y reste apparent, entre le style de Franquin (je parlais bien de celui des années 55-65 et non celui du tout début des années 70), et celui de Roba; personnages statiques opposés au dynamisme extraordinaire de Franquin, bien plus que les "lignes de vitesse" qui accompagnent le mouvements, la dynamique expressive, celle de la gestuelle, des segments, des véhicules, de la végétation; même les objets inanimés présentent leurs différentes facettes avec le déplacement du regard; il suffit de comparer la représentation des mains, la position des yeux, la posture et l'attitude générale, les positions des différents protagonistes, le dessin des foules, pour se rendre compte de son intelligence du mouvement, son intuition, sa maîtrise de la "dynamique" au sens général; aucun autre dessinateur lui arrive à la cheville sur ce versant. Et je ne parle pas de son subtil et très personnel sens de l'humour, véritable signature;