[biographie] André Franquin

Où l'on parle de Franquin et de ses travaux...

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[biographie] André Franquin

Messagepar prejoris » 28 Mars 2004 20:25

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Né à Etterbeek le 3 janvier 1924, André Franquin dessine dès son plus jeune âge. Après s'être quelque peu ennuyé aux cours de l'école Saint-Luc à Saint-Gilles, il devient, en 1944, apprenti animateur à l'éphémère compagnie CBA où il a pour compagnons Eddy Paape, un vétéran du studio, le jeune Morris et, peu après, le débutant Peyo. Morris livrant des cartoons au MOUSTIQUE, il se voit traîné par son copain aux Éditions Dupuis où Jijé les prend sous son aile et leur présente son élève Will. Logeant chez la famille Gillain à Waterloo, cette joyeuse troupe formera "la bande des quatre".

Le père de Valhardi lui propose de reprendre le personnage de Spirou, ce qu'il fait en dessinant "Le Tank", une histoire complète publiée dans l'"Almanach Spirou 1947", puis en poursuivant à partir de la sixième planche une aventure en cours, "Les Maisons préfabriquées". Parallèlement, il réalise de nombreuses illustrations dans l'hebdomadaire SPIROU et le magazine scout PLEIN-JEU, ainsi que des cartoons pour LE MOUSTIQUE et des couvertures pour LES BONNES SOIRÉES.

De 1948 à 1949, il suit Jijé et Morris aux États-Unis et au Mexique, mais la nostalgie de son Bruxelles natal et de sa promise l'amène à écourter le périple et à rentrer en Europe avant ses compagnons.

Durant dix ans, il va se consacrer essentiellement à la série "Spirou et Fantasio" et à l'animation du journal : récits complets spéciaux, animations de couvertures, illustrations diverses. L'univers du petit groom va prodigieusement s'enrichir en personnages superbes: le comte de Champignac, l'incroyable Marsupilami (1952), la journaliste Seccotine, les redoutables Zantafio et Zorglub, etc. D'épisodiques collaborateurs lui viendront parfois en aide pour un récit : les scénaristes Henri Gillain ("Il y a un sorcier à Champignac") et Maurice Rosy ("Le Dictateur et le champignon"), Greg pour les "Zorglub", le décorateur Will ("Les Pirates du silence"). Mais l'ensemble est entièrement dominé par le talent du génial perfectionniste.

Un bref malentendu avec les services de l'éditeur le pousse à lancer parallèlement la série à gags "Modeste et Pompon" dans TINTIN en 1955. La situation s'éclaircit néanmoins rapidement et dès 1959, il abandonne ces personnages à d'autres mains.

L'accueil enthousiaste réservé à tout ce qui sort de sa plume et de son pinceau contraint à une production effrénée cet homme qui ne sait pas dire non. En 1957, il a effectué un ballon d'essai avec un "héros sans emploi", l'immortel "Gaston", imaginé avec Yvan Delporte pour animer les pages rédactionnelles : son succès est tel que le gaffeur de la Rédaction doit vite aborder la vraie bande dessinée et Franquin se trouve avec plusieurs planches à réaliser par semaine. Car il n'est pas question de réduire le rythme de "Spirou" et un quotidien français, LE PARISIEN LIBÉRÉ, requiert trois aventures de ce personnage en prépublication exclusive. Un petit atelier Franquin est improvisé pour répondre à la demande. Tandis que Jidéhem l'assiste sur Gaston, Roba participe aux épisodes pour LE PARISIEN, Greg et Marcel Denis lui apportent des scénarios et des idées.

Franquin est néanmoins contraint de délaisser une de ses plus récentes créations, "Le Petit Noël", et de se battre pour rétablir sa santé affaiblie par tant de fatigues. Une dépression l'oblige à interrompre un de ses plus remarquables récit, "QRN sur Bretzelburg", mais il se fait un point d'honneur à poursuivre malgré tout "Gaston Lagaffe".

Spirou lui pèse et il passe le relais à Fournier en 1968 après une ultime prouesse parodique, "Panade à Champignac", où il cherche à se libérer de la contrainte des héros traditionnels et des récits classiques.

Il se tourne entièrement vers le gag en une planche avec Gaston et commence, en 1972, la réalisation de ses premiers (adorables) monstres pour l'animation des couvertures de SPIROU. Ces étonnantes créatures seront partiellement réunies dans l'album "Cauchemarrant" (Éditions Bédérama en 1979), puis seront reprises en cartes postales aux Éditions Dalix.

Il crée ses premières "Idées noires" dans LE TROMBONE ILLUSTRÉ, éphémère supplément animé par Yvan Delporte en 1977 dans SPIROU, et les poursuivra dans le mensuel FLUIDE GLACIAL.

L'âge venant, sa production se restreint et "Gaston" n'atteindra pas les mille gags, au grand dam de ses millions d'admirateurs.

En 1987, Marsu-Productions lance le Marsupilami dans de grandes aventures autonomes et en confie la réalisation graphique à Batem, sous la supervision de Franquin au début de la série. Greg, puis Yann, Fauche et Adam en assumeront le scénario.

Deux ans plus tard, Franquin crayonne en un style totalement libéré des lourdes contraintes de la BD une foison de petits personnages, les "Tifous", qui feront l'objet de dessins animés télévisés par les studios ODEC/Kid Cartoons, sur des scénarios de Delporte, Xavier Fauche et Jean Léturgie.

Franquin nous a quittés le 5 janvier 1997 peu avant l'édition chronologique rénovée de "Gaston Lagaffe" en dix-sept volumes aux Éditions Dupuis, à laquelle il convient de joindre deux tomes complémentaires établis par Marsu-Productions avec les dessins oubliés ou écartés par l'auteur de son vivant.

Franquin a par ailleurs corédigé avec Delporte plusieurs épisodes fantastiques de la série "Isabelle", illustrée par Will, ainsi que "Les Démêlés d' Arnest Ringard et la taupe Augraphie", mis en images par Frédéric Janin.

Hergé se considérait comme un piètre dessinateur face à ce grand artiste qui a imprimé son empreinte sur le journal de SPIROU et ce que l'on appelle l'"École de Marcinelle". Son style expressif et devenu de plus en plus nerveux avec la maturité a apporté vie, humour et dynamisme à la "ligne claire".


Bibliographie (voir les sujets dans le forum)
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- Spirou et Fantasio
- Gaston Lagaffe
- Modeste et Pompon
- Idées Noires
- Le Marsupilami
- Tifous
- Cauchemarrant
- Le Trombone Illustré
- Noël et l'élaoin
- Les robinsons du rail
- Slowburn
- Isabelle
- Arnest Ringard


Prix
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Grand Prix de la ville (Angoulême, 1974)


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© Dupuis


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Caricatures de Franquin par Franquin :
Gaffes, bévues et boulettes (Gaston, tome 11) © éditions Marsu Productions
Idées noires © éditions Audie
Dernière édition par prejoris le 11 Avr 2004 16:59, édité 2 fois au total.
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Messagepar Mr Jeanne » 28 Mars 2004 20:46

André qui ?
Bon d'accord... :sortie:


PS: Préjoris, si tu veux supprimer ce message pour "assainir" ton message, n'hésite pas, je ne t'en voudrais pas.
1970 - I feel alright !
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Messagepar prejoris » 29 Mars 2004 16:08

Spirou, le journal dans lequel Franquin a travaillé de nombreuses années, lui rend hommage dans son hebdomadaire n°3067 du 22 janvier 1997...
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Vous y trouverez 5 pages sur cet être d'exception et un récit complet de 2 pages parues en 1957 "Le Marsupilami passe l'éponge".
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Messagepar prejoris » 31 Mars 2004 11:55

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© GLENAT (broché) Les Cahiers de la Bande Dessinée n°10
2ème édition en couleurs (la première est en noir et blanc)

© GLENAT (broché) Les Cahiers de la Bande Dessinée n°47/48
Image Image
© NIFFLE, 2001.04 (broché) Profession, créateur de BD "Franquin/Jijé"
© MARABOUT, 1969 (broché) Comment on devient créateur de BD ?

Etude sur Franquin et Gillain (sc. Vandooren)
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Messagepar chatigret » 17 Mai 2004 23:12

superbe prejo ;) :ok:
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Messagepar Pacôme » 28 Mai 2004 20:36

Ce qu'en dit l'encyclopédie Universalis :

André FRANQUIN 1924-1997
Comme l’autre grand nom de la bande dessinée belge, Hergé, c’est dans la commune bruxelloise d’Etterbeek qu’est né André Franquin, le 3 janvier 1924. Il est engagé en 1944 par un studio de dessins animés, où il fait la connaissance de Morris et Peyo. Grâce à l’amitié de Jijé (Joseph Gillain), alors pilier du journal Spirou, les trois jeunes dessinateurs livrent à cet hebdomadaire des bandes dessinées humoristiques. Sous la houlette de Jijé se constitue « l’école de Marcinelle » (nom du faubourg de Charleroi où se trouve le siège du journal) ; ses membres ont en commun un sens du mouvement (hérité de leur formation dans le dessin animé) et le goût du détail graphique qui ajoute au comique (Franquin ira jusqu’à introduire à l’intérieur de chacune de ses signatures en bas de planche un gag en rapport avec l’histoire). Dans Tintin, journal rival de Spirou, s’épanouit au même moment autour d’Hergé un graphisme réaliste, plus épuré et plus statique, celui de « l’école de Bruxelles ».
André Franquin n’a que vingt-deux ans quand Jijé lui abandonne la principale bande dessinée du journal Spirou, créée en 1938 pour le lancement de l’hebdomadaire par le Français Rob-Vel (Robert Velter). De 1946 à 1968, André Franquin est chargé de cette série. Aux deux héros, les journalistes Spirou et Fantasio, il ajoute des personnages secondaires rapidement essentiels, comme le comte de Champignac (1951), savant génial, et son double maléfique, Zorglub (1959), et surtout le Marsupilami (1952), animal fabuleux, originaire de Palombie – État fictif de l’Amérique du Sud ; il est à la fois mammifère et ovipare, comme le révèle l’épisode Le Nid des marsupilamis.
Lassé des contraintes d’une série qui n’est pas tout à fait la sienne, André Franquin, parallèlement à Spirou, réalise d’autres bandes : de 1955 à 1959 il livre à l’hebdomadaire Tintin « Modeste et Pompon », gags en une page sur la vie quotidienne de deux jeunes gens, puis il crée en 1957 dans Spirou le héros – ou plutôt l’antihéros – qui lui apportera la célébrité, Gaston Lagaffe, garçon de bureau (fictif !) de ce journal. À travers ce personnage aux inventions farfelues, qui introduit parmi des employés surmenés et pénétrés de l’importance de leur travail une vision ludique et poétique de l’existence, André Franquin brosse un tableau ironique du monde de l’entreprise, de son culte de la productivité et de la rentabilité. Il laisse deviner son intérêt pour l’écologie, sa sympathie pour les marginaux, son aversion pour l’autoritarisme, sa conception anarchisante de la vie en société. Ces idées seront plus clairement exprimées dans « Idées noires ». Cette série, très adulte dans le ton, née en 1977 dans le Trombone illustré, supplément – éphémère, car jugé subversif par l’éditeur – du journal Spirou, puis publiée dans les magazines À suivre et Fluide glacial et dans deux recueils (vol. 1, 1981 et vol. 2, 1984), est peut-être la plus grande réussite d’André Franquin, qui y révèle sa nature fondamentalement angoissée.
En effet, jusqu’à la fin de sa vie (il est mort des suites d’un infarctus le 5 janvier 1997 à Saint-Laurent-du-Var), André Franquin aura porté un regard sans complaisance tant sur le monde que sur lui-même. En dépit d’un très grand succès populaire (l’ultime album de Gaston, Gaffe à Lagaffe !, s’est vendu à 650 000 exemplaires durant les quatre semaines qui s’écoulèrent entre sa parution et le décès de l’auteur), et de l’estime de l’ensemble de la profession (« c’est un grand artiste, à côté duquel je ne suis qu’un piètre dessinateur », avait dit Hergé), André Franquin ne connut jamais la sérénité, et, à plusieurs reprises, sa carrière fut interrompue par des dépression nerveuses. Comme beaucoup d’humoristes, il était profondément pessimiste. Dans un entretien accordé en 1993 à Alain Fourment pour le journal Le Monde, il avait déclaré : « Avec l’âge, et malgré des moments de bonheur, je suis convaincu que l’homme ne sera jamais civilisé. Il se détruira. Mais il ne faut pas trop le dire, il ne faut pas gâcher la vie des gens. »
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Messagepar Pacôme » 28 Mai 2004 20:48

Toujours sur Franquin dans l'encyclopédie Universalis :

Je sais c'est copieux mais instructif je trouve

Pour celui qui n'a pas le courage de tout lire, il reste toujours les touches CTRL+F pour faire une recherche sur le mot Franquin :baille:

BANDE DESSINÉE
Prise de vue
Toute bande dessinée est fondée sur une juxtaposition d’images, organisée en séquences narratives. Chaque image – dite « vignette » – se trouve généralement à l’intérieur d’un cadre rectangulaire, la « case ». Un alignement de cases forme un « registre » ou « strip ». Une superposition de registres occupant toute une page d’une revue ou d’un album constitue une « planche ».
La bande dessinée, dont le Suisse Rodolphe Töpffer a l’intuition dès les années 1830-1840, naît, en tant qu’activité professionnelle reconnue, à la fin du XIXe siècle aux États-Unis ; la présence de ballons (dialogues écrits dans des bulles ou phylactères) s’y généralise à partir du Yellow Kid d’Outcault (1896). Durant la première moitié du XXe siècle, la bande dessinée américaine domine, tant en quantité qu’en qualité, la production mondiale ; ses premiers chefs-d’œuvre sont Little Nemo de McCay (1905) et Krazy Kat de Herriman (1913). La naissance de Superman en 1938 ouvre la voie aux « super-héros ». Malgré quelques réussites exceptionnelles, comme Peanuts de Schulz (1950) ou Maus de Spiegelman (1986), la seconde partie du XXe siècle voit un recul des États-Unis, et l’émergence de bandes dessinées marquantes au Japon (les mangas d’Osamu Tezuka), en Belgique (Tintin par Hergé, Spirou par Franquin, Blake et Mortimer par E.P. Jacobs), en Italie (Corto Maltese par Hugo Pratt) et en France (Astérix par Uderzo et Goscinny, récits de politique-fiction par Bilal).
Au seuil du XXIe siècle, la bande dessinée, à l’image de la société, est divisée en courants multiples et contradictoires. Le genre est aussi diversifié que peut l’être la littérature ou le cinéma : il n’existe plus aujourd’hui une bande dessinée, mais des bandes dessinées.

1. Histoire de la bande dessinée des origines à 1970
Définitions et statut de la bande dessinée
Si tous les théoriciens s’accordent à penser qu’il n’y a pas bande dessinée sans une succession d’images interdépendantes, le texte qui accompagne les dessins, bien qu’il ne constitue pas un élément indispensable (puisqu’il existe des histoires muettes), est source de débats qui touchent à la définition du genre. Dans l’acception la plus large, il y a bande dessinée si à chaque image correspond un texte précis, même imprimé en dehors des cases. Pour les tenants d’une définition plus restrictive, le texte doit non seulement figurer à l’intérieur des cases, mais encore se présenter essentiellement sous forme de dialogues écrits dans des phylactères (appelés plus communément « ballons » ou « bulles »), c’est-à-dire des panneaux ou nuages semblant s’échapper de la bouche des personnages. Selon la définition adoptée, La Famille Fenouillard ou Bécassine, par exemple, sera donc assimilée à une bande dessinée ou définie comme une « histoire en images ».
Sous l’influence de la production américaine, adepte dès la fin du XIXe siècle, de textes placés uniquement dans des ballons, la bande dessinée au sens strict s’est progressivement imposée dans le monde au cours des années 1930, non sans susciter de nombreuses critiques dans des pays à forte tradition littéraire comme la Grande-Bretagne ou la France : l’emploi généralisé de la bulle éloignait définitivement la bande dessinée du genre romanesque, puisqu’elle réduisait le texte à des dialogues (rapprochant ainsi la bande dessinée du théâtre ou du cinéma parlant).
Le statut de la bande dessinée reste aujourd’hui très ambigu. Bien que désigné parfois sous l’appellation de « neuvième art », ce mode d’expression reste méconnu (il n’est souvent considéré que comme une pure distraction) et mal compris : sa nature hybride (images et texte) rend difficile sa perception comme forme d’expression indépendante, qui ne peut être jugée qu’en elle-même, et non par rapport à des œuvres uniquement littéraires ou picturales : la bande dessinée n’est ni une sous-littérature ni une sous-peinture, mais un art autonome reposant sur une double articulation, l’une synchronique (la relation, à l’intérieur d’une case, entre l’image et le texte), l’autre diachronique (la relation que chaque case entretient avec toutes les autres, et en particulier avec celle qui la précède et celle qui la suit). La bande dessinée, art de l’ellipse (le lecteur contribue à la continuité du récit en reliant mentalement des cases, dont chacune n’est qu’un instantané, figé dans le temps), a donc ses propres critères, ce qui rend vaine sa comparaison – néanmoins fréquente, et forcément défavorable – avec la littérature ou les arts graphiques.
Les origines de la bande dessinée
L’idée de recourir simultanément à un texte et à des dessins pour raconter une histoire est aussi ancienne que l’écriture elle-même, comme en témoignent de nombreux papyrus et peintures de l’Égypte antique. Les Romains n’ignorent pas le récit en images (décor sculpté de la colonne Trajane, vers 110 après J.-C.), devenu banal au Moyen Âge qui donne un exemple de longue figuration narrative avec la « tapisserie de Bayeux » (vers 1077) et invente le phylactère au XIVe siècle. Au XVIIIe siècle, le peintre britannique William Hogarth (1697-1764) conçoit des récits constitués de suites de gravures légendées (La Carrière du roué, 1735).
Comme toute forme d’art, le récit en séquence d’images n’est donc pas né brusquement, il a évolué au cours du temps. Cependant, tout en s’inscrivant dans cette tradition millénaire, ce mode d’expression tel que nous le connaissons aujourd’hui – c’est-à-dire une œuvre reproduite à plusieurs exemplaires sur un support papier en vue d’être diffusée – est né en deux temps au XIXe siècle, ces deux étapes correspondant aux deux conceptions du genre, selon que l’on fait ou non de la présence du phylactère un critère déterminant.
De Töpffer à Outcault, ou d’une naissance à l’autre (1833-1896)
Le « père fondateur » de la bande dessinée sans phylactères est le Suisse francophone Rodolphe Töpffer (1799-1846). Dès 1827, il compose, sans les commercialiser, des « histoires en estampes », admirées par Goethe. En mars 1833, Töpffer publie Histoire de Monsieur Jabot, qui sera suivie de six autres albums. Il est aussi le premier théoricien de ce mode d’expression, dont il définit en 1837 la spécificité : « Les dessins, sans le texte, n’auraient qu’une signification obscure ; le texte, sans les dessins, ne signifierait rien. » Il a, en France et ailleurs, de nombreux émules, dont certains passeront à la postérité – mais grâce à d’autres activités –, comme Nadar (Félix Tournachon, 1820-1910) avec Vie publique et privée de Mossieu Réac (1848), première bande dessinée politique, Gustave Doré (1832-1883), auteur d’une peu orthodoxe Histoire de la Sainte Russie (1854), ou Caran d’Ache (Emmanuel Poiré, 1858-1909), qui propose vainement en 1894 au Figaro un « roman dessiné » muet, de plus de 300 pages, intitulé Maestro (finalement publié en 1999 par le musée de la Bande dessinée d’Angoulême). Töpffer est le modèle avoué de Christophe (Georges Colomb, 1856-1945, sous-directeur du laboratoire de botanique de la Sorbonne), auteur dans Le Petit Français illustré de plusieurs longs récits, dont La Famille Fenouillard (1889). Comme ses prédécesseurs, Christophe place le texte sous l’image, mais innove en ayant recours à des procédés (plans américains, vues plongeantes, effets de profondeur de champ) que le cinéma allait redécouvrir quelques années plus tard.
En Allemagne et en Grande-Bretagne apparaissent à la même époque des héros (ou plutôt des antihéros) d’histoires en images qui marqueront plusieurs générations de lecteurs : les garnements Max et Moritz (1865) de Wilhelm Busch (1832-1908) et Ally Sloper, un bon à rien créé en 1867 par Charles Ross (1835-1897), qui se fait seconder dès 1869 par sa future épouse, la Française Marie Duval (pseudonyme d’Isabelle Émilie de Tessier).
Aux États-Unis, l’influence de Töpffer, puis de Busch, est considérable. La première bande dessinée qui y est éditée, The Adventures of Mr. Obadiah Oldbuck (1842) est d’ailleurs une adaptation des Amours de Monsieur Vieux Bois de Töpffer.
L’usage des ballons (courant chez les caricaturistes anglais du début du XIXe siècle) va s’imposer en quelques années aux États-Unis, bénéficiant de l’absence de préjugés culturels d’une nation encore en formation et de la surenchère des deux magnats de la presse, William Randolph Hearst et Joseph Pulitzer, pour s’attacher les services des meilleurs dessinateurs. C’est progressivement, dans les éditions du 18 et du 25 octobre 1896 du New York Journal, que Richard Outcault (1863-1928) transforme sa série The Yellow Kid (née deux ans plus tôt sous le titre de Hogan’s Alley) en une œuvre qui a toutes les caractéristiques des « B.D. » modernes. Ce gamin à la chemise jaune, vivant dans un taudis new-yorkais, marque une étape décisive de la bande dessinée américaine, qui va devenir fondamentalement différente de celle publiée alors en Europe, non seulement dans sa forme, mais aussi dans son fond (elle cherchera à intéresser simultanément les enfants et les adultes) et dans son mode de diffusion (des journaux tirés à des millions d’exemplaires, et non des revues ou des albums visant un public aisé mais plus restreint).
L’Europe avant la Seconde Guerre mondiale
Le succès rapide aux États-Unis des bandes avec ballons mettra une trentaine d’années à ébranler en Europe la tradition du texte sous la vignette (héritée en France des images d’Épinal), et il est significatif que la première bande dessinée à bulles de langue française soit parue au Québec : Les Aventures de Timothée (1904) par Albéric Bourgeois (1876-1962) dans le journal La Patrie. Mais les années 1903-1914 sont marquées par la prolifération, en France, en Italie et en Grande-Bretagne, d’hebdomadaires presque entièrement composés d’histoires en images, et s’adressant à la jeunesse : pendant un demi-siècle la bande dessinée européenne – destinée à l’origine à des adultes – va chercher à plaire avant tout aux enfants et aux adolescents, ce qui est l’une des explications du mépris dans lequel l’ensemble du genre sera longtemps tenu.
La France de 1903 à 1914
En France, l’éditeur Arthème Fayard est le premier à lancer des publications essentiellement constituées d’histoires en images (La Jeunesse illustrée en 1903 et Les Belles Images en 1904). Les dix années qui précèdent la Première Guerre mondiale voient une profusion de nouvelles revues enfantines, dont la postérité n’a retenu que deux séries, que tout oppose : dans La Semaine de Suzette, journal pour petites filles modèles édité par Gautier-Languereau, Caumery (Maurice Languereau, 1867-1941) écrit pour le peintre et dessinateur Joseph Porphyre Pinchon (1871-1953) Bécassine (1905), mésaventures d’une petite bonne bretonne au service d’une famille aristocratique ; cette série, contestée par la suite pour son idéologie conservatrice, est un témoignage quasi proustien sur les mœurs de l’époque (comme l’a écrit le critique Francis Lacassin, « Bécassine c’est un peu À la recherche du temps perdu raconté par Françoise »). À l’opposé, dans L’Épatant, édité par les frères Offenstadt, Louis Forton (1879-1934) donne aux titis parisiens leurs premiers héros, Les Pieds-Nickelés (1908), scrupuleusement malhonnêtes et vulgaires, et influencés par le mouvement anarchiste. Louis Forton est également l’auteur de Bibi Fricotin (1924), un jeune journaliste détective. Pour les petites filles des milieux populaires, les frères Offenstadt lancent en 1909 le journal Fillette, dont la vedette est L’Espiègle Lili, créée par le romancier Jo Valle (1865-1949), et dont le premier dessinateur est André Vallet.
Les illustrés français d’avant 1914 restent encore en grande partie mal connus, et recèlent sans doute quelques surprises. C’est seulement en 1985 qu’ont été découvertes deux bandes qui furent probablement les premières en France à comporter un texte entièrement placé dans des bulles : Sam et Sap de Rose Candide (pseudonyme du dessinateur montmartrois Émile Tap) sur un texte de Georges Le Cordier, « aventures surprenantes d’un petit nègre et de son singe », publiées en 1908 dans les journaux Saint Nicolas et L’Écolier illustré puis la même année en album chez Delagrave ; Frip et Bob, deux jeunes globe-trotters farceurs créés en 1910 (dessin et texte) par le futur romancier Pierre Mac Orlan (Pierre Dumarchey, 1882-1970) pour L’Almanach Nodot 1911 (la série fut continuée par Mac Orlan dans l’almanach de 1912, et par Solar d’Alba dans ceux de 1913 et de 1914).
La France de 1914 à 1939
Les bandes dessinées à bulles nées avant la Première Guerre mondiale n’eurent aucune influence, et il fallut attendre la création par Alain Saint-Ogan (1895-1974) de Zig et Puce en 1925 pour voir le triomphe d’une œuvre n’ayant recours qu’à des ballons. Mais l’extraordinaire engouement suscité par cette série (la première en France à connaître un succès massif) s’explique plutôt par le déclin qualitatif et quantitatif de la production après 1914 (Zig et Puce n’avaient comme rivaux que des héros déjà datés), et par un phénomène de mode dont bénéficia le compagnon d’aventures des deux jeunes garçons, le pingouin Alfred, qui donna naissance à de nombreux produits dérivés.
À Bruxelles, en 1929, s’inspirant de la technique graphique d’Alain Saint-Ogan, Hergé (Georges Remi, 1907-1983) commence les aventures du jeune reporter Tintin et de son chien Milou. La série est rapidement populaire en Belgique, mais n’est connue en France avant la Seconde Guerre mondiale que des seuls lecteurs de l’hebdomadaire catholique Cœurs Vaillants, qui la reprend dès 1930.
Le 21 octobre 1934, Paul Winkler lance le premier numéro du Journal de Mickey, qui ne contient que des bandes dessinées américaines, que l’éditeur a importées par le biais de son agence Opera Mundi. En une seule journée, les illustrés français pour la jeunesse sont démodés. La production française, mièvre et moralisatrice, reçoit un coup mortel, condamnant les anciens éditeurs à s’adapter, souvent contre leur gré. Seuls les dessinateurs les plus doués survivront : outre Alain Saint-Ogan et Hergé, on peut citer Raoul Thomen (1876-1950), René Giffey (1884-1965), Étienne Le Rallic (1891-1968) et René Pellos (René Pellarin, 1900-1998).
À l’instar du Journal de Mickey naissent de nouvelles publications qui privilégient les séries d’aventures et de science-fiction, souvent d’origine américaine. En 1935 l’éditeur italien Cino Del Duca s’impose en France avec Hurrah !, ainsi que son compatriote Ettore Carozzo avec le très cosmopolite Jumbo. Paul Winkler récidive avec les journaux Robinson (1936) et Hop-là ! (1937). Les bandes dessinées américaines domineront le marché français jusqu’à ce que l’Allemagne en interdise la publication dans les pays occupés après l’entrée en guerre des États-Unis (1941).
Autres pays d’Europe
En Italie, l’illustré qui fonde la bande dessinée nationale est le Corriere dei Piccoli, né en 1908. Ses histoires ne comportent pas de bulles, mais un texte en vers de mirliton sous l’image. Dès 1910, Antonio Rubino (1880-1964) se livre dans Quadratino à des recherches graphiques. En 1932 – avant d’avoir son propre journal en France ou en Grande-Bretagne – Mickey devient en italien Topolino pour un nouvel hebdomadaire qui propose à la fois des séries des studios de Walt Disney et des bandes italiennes, comme le western Kit Carson (1937) de Rino Albertarelli (1908-1974). À partir de 1938, les illustrés italiens n’ont plus le droit de publier des bandes américaines, à l’exception de Topolino, lecture favorite des enfants de Mussolini.
En Grande-Bretagne, la plupart des journaux de bandes dessinées appartiennent à un magnat de la presse, l’Irlandais Alfred Harmsworth, lord Northcliffe. Après avoir créé en 1890 Comic Cuts et Chips (qui paraîtront tous deux jusqu’en 1953), son groupe, Amalgamated Press, lance en 1914 The Rainbow, qui acquiert rapidement auprès des jeunes enfants une popularité sans égale grâce à la série Tiger Tim and the Bruin Boys ; dans cette bande, qui comporte à la fois un texte sous l’image et des ballons, les deux dessinateurs, Julius Stafford Baker (1869-1961) et Herbert Sydney Foxwell (1890-1943), racontent les aventures d’un jeune tigre, élève dans une pension tenue par une ourse. C’est un éditeur écossais, David Couper Thomson, qui est le premier à contester l’hégémonie d’Amalgamated Press, avec les journaux pour enfants The Dandy (1937) et The Beano (1938), qui font une large place à des histoires comiques, sans texte sous l’image ; ces deux titres sont les seuls de cette époque qui franchiront le cap du XXIe siècle.
En Allemagne apparaît en 1934 dans Die Berliner illustrierte Zeitung une bande muette qui aura un grand succès, la chronique familiale Père et Fils (Vater und Sohn) ; son auteur, E.O. Plauen (Erich Ohser, 1909-1944), se suicida alors qu’il était emprisonné par la Gestapo pour propos défaitistes.
La suprématie de la bande dessinée américaine (1896-1945)
La bande dessinée américaine, peu abondante avant les premières bulles du Yellow Kid (1896), connaît en quelques années un développement considérable. Dès 1902, tous les grands quotidiens américains publient un supplément dominical qui contient des bandes dessinées avec des ballons, présentées sous la forme de grandes planches en couleur. À la suite du succès en 1907 dans le San Francisco Chronicle de Mutt and Jeff par Bud Fisher (1885-1954), une série sur les milieux hippiques, les bandes quotidiennes se banalisent ; elles sont constituées le plus souvent de quatre cases (en noir et blanc) juxtaposées. Enfin, à partir de 1936 se généralise la publication de bandes dessinées dans des fascicules de format 25,5 cm 16,5 cm, au papier médiocre. Ces trois modes de diffusion (appelés respectivement Sunday page, daily strip et comic book) coexistent encore aujourd’hui, l’album cartonné tel qu’on le conçoit en France ou en Italie restant exceptionnel.
Le temps des bandes humoristiques
Le premier phénomène de masse de la bande dessinée américaine est The Katzenjammer Kids (1897) par Rudolph Dirks (1877-1968), une série sur les méfaits de deux garnements, inspirés des Max et Moritz de Wilhelm Busch (titre français : Pim Pam Poum). La nature comique de cette bande et de celles qui suivront imposera en anglais des États-Unis le terme de comics pour désigner toute bande dessinée (les Britanniques préférant parfois l’expression strip cartoons) ; ce vocable continuera à être employé lorsque se répandront à partir des années 1920 des bandes dessinées ne reposant pas sur des effets comiques.
Très tôt dans son histoire, la bande dessinée américaine donne naissance à deux chefs-d’œuvre : Little Nemo (1905) par Winsor McCay (1867-1934), récits oniriques partiellement inspirés par l’Art nouveau, et Krazy Kat (1913) par George Herriman (1880-1944), bande animalière à l’humour absurde. L’année 1913 est aussi celle des débuts de Bringing up Father (La Famille Illico), par George McManus (1884-1954), qui popularise un genre nouveau, le family strip (histoire humoristique à cadre familial), dont les meilleurs exemples sont Winnie Winkle (Bicot), une série créée en 1920 par Martin Branner (1888-1970), et Blondie (1930) par Murat « Chic » Young (1901-1973). Une veine poétique affleure dans Félix le Chat (1923), par Pat Sullivan (1887-1933) et Otto Messmer (1892-1983), un félin malicieux apparu en dessins animés dès 1919, et le burlesque triomphe quand Elzie Crisler Segar (1894-1938) invente Popeye (1929), un marin qui acquiert une force surhumaine en mangeant des épinards. Les personnages des dessins animés produits par Walt Disney (1901-1966) sont adaptés en bandes dessinées par des artistes qui restèrent longtemps anonymes. La souris Mickey, née dans des dessins animés en 1928 sous le crayon d’Ub Iwerks (1901-1971), est publiée en bandes quotidiennes à partir de 1930 ; son meilleur et principal dessinateur, de 1930 à 1975, est Floyd Gottfredson (1905-1986).
Le temps des bandes dessinées d’aventures
Les années 1920 voient l’émergence des premières bandes d’aventures, comme Wash Tubbs and Captain Easy (1924) de Roy Crane (1901-1977), dont la technique graphique d’opposition entre le noir et le blanc fera école (de Milton Caniff à Hugo Pratt), l’aviatrice Connie (1927) de Frank Godwin (1889-1959), la série d’anticipation Buck Rogers (1929) par Dick Calkins (1898-1962) ou l’adaptation (en 1928 en Grande-Bretagne, en 1929 aux États-Unis) du Tarzan d’Edgar Rice Burroughs par Hal Foster (1892-1981), puis à partir de 1937 par Burne Hogarth (1911-1996). Les années 1930 sont celles du triomphe des bandes d’aventures, au graphisme réaliste, et souvent très adultes dans le ton ; contrairement aux bandes européennes, les femmes – généralement belles et aventureuses – y jouent un rôle important, et créent parfois un climat érotique. Les séries les plus marquantes sont Dick Tracy (1931), par Chester Gould (1900-1985), aux intrigues policières proches des romans noirs, Flash Gordon (1934) par Alex Raymond (1909-1956), qui dessine d’un trait académique des mondes extraterrestres, Terry and the Pirates (1934) par Milton Caniff (1907-1988), aventures asiatiques de personnages à la psychologie complexe, et Prince Valiant (1937) par Hal Foster, fresque sur les chevaliers de la Table ronde. Enfin, le scénariste Lee Falk (1911-1999) ouvre la voie aux « super-héros » avec Mandrake (1934), un magicien dessiné par Phil Davis (1906-1964), et avec The Phantom (1936, en français Le Fantôme du Bengale), un héros masqué dessiné par Ray Moore (1905-1984).
En marge de ces séries d’aventures, Al Capp (Alfred Caplin, 1909-1979) fait dans Li’l Abner (1934) la satire de la vie américaine à travers la chronique fictive d’un petit village arriéré du Tennessee.
La naissance des super-héros
La fin des années 1930 est marquée par l’essor des comic books, dont les deux principaux éditeurs sont D.C. (Detective Comics) et Marvel, fondés respectivement en 1935 et 1939. Ces fascicules mensuels, surtout destinés aux adolescents, proposent à l’origine des récits de différents styles, puis, après l’énorme succès commercial des séries Superman et Batman, ils se spécialisent progressivement dans des histoires qui mettent en scène des personnages aux pouvoirs surhumains (appelés « super-héros »). Superman, créé dans le premier numéro d’Action Comics (juin 1938) par le dessinateur Joe Shuster (1914-1992) sur un scénario de Jerry Siegel (1914-1996), et Batman, né dans le no 27 de Detective Comics (mai 1939) du dessin de Bob Kane (1915-1998) et d’un texte de Bill Finger (1917-1974), s’inscrivent immédiatement dans l’imaginaire américain. Ils sont à l’origine d’un genre – qui dure encore – où des surhommes s’affrontent en des combats, titanesques mais jamais décisifs, qui mettent en jeu le sort de l’humanité ordinaire, et rappellent parfois les luttes entre les dieux des mythes et légendes de l’Antiquité. Le succès de ces super-héros donne naissance à des super-héroïnes dont la plus célèbre est Wonder Woman (1941) créée par le dessinateur Harry Peter et le psychologue William Moulton Marston. Dès 1940, ce type bien particulier de bandes dessinées est brillamment parodié par Will Eisner (né en 1917) dans The Spirit.
La bande dessinée francophone de 1940 à 1960
France : de l’Occupation à la loi de 1949
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la désorganisation de la France et la pénurie de papier rendent difficiles la survie des illustrés, qui sont en outre privés des bandes d’origine américaine. À Paris naît, en 1943, Le Téméraire, journal attrayant dans la forme, mais idéologiquement proche de l’occupant. À la Libération, de nombreuses bandes dessinées attaquent ou ridiculisent les nazis ; les plus notables sont, en 1944, l’album avec texte sous l’image d’Edmond-François Calvo (1892-1957) La Bête est morte !, transposition de la Seconde Guerre mondiale chez les animaux, et, dans le journal Coq Hardi, Les Trois Mousquetaires du maquis, par Marijac (Jacques Dumas, 1908-1994).
La création de journaux donnant, comme avant la guerre, la vedette à des séries achetées aux États-Unis (notamment les hebdomadaires Tarzan, en 1946, et Donald, en 1947) provoque la colère des organisations professionnelles françaises de dessinateurs. Leurs protestations, conjuguées à celles des ligues de moralité issues de milieux catholiques ou laïques, ainsi qu’à l’antiaméricanisme du Parti communiste, et à la méfiance qu’éprouvent les éducateurs à l’égard de la bande dessinée, sont à l’origine de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. En menaçant de saisie toute œuvre faisant place (même une sous forme bénigne) à la violence ou à la sexualité, celle-ci va peser pendant vingt ans sur ce mode d’expression : les quelques éditeurs qui continuent à publier des séries d’origine étrangère doivent les édulcorer (des retoucheurs effacent les revolvers et rallongent les jupes), et demandent à leurs auteurs français de s’autocensurer.
La domination belge
C’est dans ce contexte répressif que va pouvoir s’épanouir en France la production belge. En effet, depuis les années 1930, les auteurs belges ont su développer une bande dessinée à mi-chemin entre le conformisme des séries françaises et l’atmosphère adulte des séries américaines. Leurs héros sont lancés dans des aventures pleines de mystère, de suspense et d’humour, mais ils sont asexués, moralement irréprochables, défendent l’ordre établi, et prônent discrètement des valeurs à la fois laïques et chrétiennes. Dès 1930, Hergé a des imitateurs, et en 1938 se constitue, au sein des éditions Dupuis, le premier grand illustré belge de bandes dessinées, Le Journal de Spirou ; le héros éponyme a cependant été conçu par un dessinateur français, Rob-Vel (Robert Velter, 1909-1991). L’hebdomadaire est diffusé en France à partir de 1946, année où à Bruxelles Raymond Leblanc, fondateur des éditions du Lombard, fait de Tintin le titre et le personnage central d’une nouvelle publication, distribuée en France dans une version légèrement différente par Georges Dargaud en 1948. Pendant une vingtaine d’années, les journaux Spirou et Tintin seront les deux titres les plus prestigieux de la bande dessinée francophone.
Bien que rivaux, les deux illustrés ont chacun leur personnalité. Spirou est axé sur l’humour et un graphisme dynamique, influencé par le dessin animé. C’est ce que l’on appellera « l’école de Marcinelle » (faubourg de Charleroi où se trouve le siège de l’hebdomadaire). Les principaux représentants en sont André Franquin (1924-1997), dessinateur de la série Spirou et Fantasio de 1946 à 1968 et créateur de l’antihéros Gaston Lagaffe en 1957, Morris (Maurice De Bevere, né en 1923), qui invente le cow-boy Lucky Luke en 1946, Peyo (Pierre Culliford, 1928-1992), père d’un peuple de lutins bleus, les Schtroumpfs (1958), et Jean Roba (né en 1930), qui à travers les personnages (un jeune garçon et un cocker) de Boule et Bill (1959) met en scène la vie d’une famille. Le journal contient aussi quelques œuvres réalistes réussies, comme Buck Danny (1947) par Victor Hubinon (1924-1979) sur un scénario de Jean-Michel Charlier (1924-1989), série d’aviation typique de la guerre froide, ou le western Jerry Spring (1954) par Jijé (Joseph Gillain, 1914-1980).
Au journal Tintin, le graphisme est souvent plus statique, et la tonalité des récits plus dramatique. Les auteurs ne travaillent pas sans une documentation imposante, recherchent la vraisemblance, et leurs textes sont écrits dans une langue relativement littéraire. C’est « l’école de Bruxelles », qui dérive d’Hergé, mais n’en conserve pas toujours le graphisme, épuré des détails inutiles, que l’on baptisera plus tard « ligne claire ». Dans le sillage d’Hergé, figure tutélaire du magazine, on trouve principalement Edgar Pierre Jacobs (1904-1987), qui dans Blake et Mortimer (1946) allie le réalisme au merveilleux scientifique, Paul Cuvelier (1923-1978), dessinateur sensuel des aventures, dans l’Inde du XVIIIe siècle, du jeune Breton Corentin, et le Français Jacques Martin (né en 1921), qui dans Alix (1948) se livre à une reconstitution grandiose et trouble du monde romain. Ils seront rejoints entre autres par le Flamand Willy Vandersteen (1913-1990), qui introduit un peu de loufoquerie avec sa série Bob et Bobette (apparue dès 1945 dans De Nieuwe Standaard sous le titre néerlandais de Suske en Wiske) et par Raymond Macherot (né en 1924), auteur d’une bande animalière à la fois poétique et satirique, Chlorophylle (1954).
Dans l’ombre de « Spirou » et de « Tintin »
Si les journaux Spirou et Tintin sont incontestablement de grandes réussites, ils ne représentent qu’une faible part de l’ensemble de la production, qui quantitativement est alors à son apogée. De nombreuses autres publications ont des tirages très importants, comme Vaillant, proche du Parti communiste, support notamment dès l’année de son lancement (1945) de la série de science-fiction Les Pionniers de l’Espérance, par le dessinateur Raymond Poïvet (1910-1999) et le scénariste Roger Lécureux (1925-1999), ou la nouvelle série du Journal de Mickey (1952), plus enfantine que celle d’avant-guerre, et comportant quelques bandes d’origine française, comme, de 1952 à 1978, Mickey à travers les siècles, dessiné par Pierre Nicolas (né en 1929), généralement sur un scénario de Pierre Fallot (1909-1976). Les milieux catholiques ont leurs propres illustrés, notamment Fripounet et Marisette (1945), où est publiée une bande éponyme sur deux jeunes campagnards, créée en 1943 par Herboné (René Bonnet, 1905-1998), et Bayard (1936, nouvelle série en 1946), dont la vedette est la fresque médiévale Thierry de Royaumont (1953), due au dessin de Pierre Forget (né en 1923) et au texte de Jean Quimper (André Sève, né en 1913).
Les petits formats
Les années 1950 voient aussi le foisonnement des « petits formats », c’est-à-dire des fascicules bon marché imprimés en noir et blanc, de format 18 cm 12,5 cm, visant les jeunes des milieux populaires, et peu préoccupés – contrairement à Spirou et à Tintin – de respectabilité. Ils ne se rattachent que partiellement à la bande dessinée francophone, puisque leur contenu est souvent le travail de dessinateurs étrangers (italiens, espagnols, britanniques...), presque toujours anonymes, et dont l’identification pose encore beaucoup de problèmes. Les deux principaux éditeurs, Lug (fondé en 1950 par Marcel Navarro) et Impéria (1953), avaient leur siège à Lyon. Certaines de ces publications eurent un impact considérable comme Akim (1958), nom d’un enfant de la jungle créé en Italie en 1950 par Augusto Pedrazza (1923-1994), Tartine Mariol (1957), une centenaire à la force herculéenne inventée en 1953 (sous le nom italien de Nonna Abelarda) par Giulio Chierchini (né en 1928), Pepito (1954), petit corsaire apparu en 1952 sous le crayon de Luciano Bottaro (né en 1931), ou Kiwi (1955), dont la bande principale met en scène – comme l’indique le titre – un oiseau étrange, créature née de l’imagination du Français Jean Cézard (1924-1977) ; la série complémentaire Blek le Roc se déroule au XVIIIe siècle et a pour protagoniste un trappeur engagé dans la lutte des Américains pour leur indépendance ; elle est née en 1954 dans le studio turinois Esse-G-Esse. Qualifiés de « fascicules de gare », les petits formats ont été longtemps méprisés. Il n’est cependant pas douteux qu’ils ont eu plus de lecteurs que Spirou et Tintin réunis, et qu’on y trouvait parfois des dessinateurs talentueux, comme Devi (l’Italien Antonio De Vita, créateur en 1955 dans Kiwi de la série Le Petit Duc).
Les bandes dessinées dans la grande presse
Au cours des années 1950, la bande dessinée est aussi très présente dans la grande presse (souvent il est vrai sous la forme d’histoires dont le texte est placé sous l’image, notamment pour les nombreuses adaptations de romans). Presque tous les quotidiens, de Paris comme de province, publient au moins une bande dessinée, du Figaro, avec la série muette Les Aventures du professeur Nimbus, créée dès 1934 pour Le Journal par André Daix (André Delachenal, 1901-1976), à L’Humanité avec Pif le Chien, né en 1948 du crayon du réfugié politique espagnol José Cabrero Arnal (1909-1982). Certains quotidiens consacrent une page entière à la bande dessinée, par exemple France-Soir, dont certaines séries sont célèbres, comme Arabelle la Sirène (1950) de Jean Ache (Jean Huet, 1923-1985) ou 13, rue de l’Espoir (1959) de Paul Gillon (né en 1926). Une bande comme Pat’Apouf détective de Gervy (Yves Desdemaines-Hugon, 1908-1998), qui paraît dans l’hebdomadaire Le Pèlerin depuis 1938, a probablement plusieurs millions de lecteurs qui, contrairement à ceux du journal Tintin – dont c’était pourtant le slogan –, sont réellement âgés « de 7 à 77 ans ».
La bande dessinée en Europe de 1940 à 1960
Outre la France et la Belgique, deux pays européens ont, dans les années 1940 et 1950, une production importante, tant en quantité qu’en qualité : l’Italie et la Grande-Bretagne.
En Italie, les années 1940 sont dominées par Dick Fulmine (en français Alain la Foudre), justicier à l’idéologie fasciste créé en 1938 par Carlo Cossio (1907-1964), et par les bandes d’aventures exotiques de Franco Caprioli (1913-1973). En 1948 débute un western qui sera l’un des grands classiques du genre, Tex Willer, dessiné à l’origine par Galep (Aurelio Galleppini, 1917-1994) sur un scénario de Gian Luigi Bonelli (1908-2001). Le western traditionnel est parodié par Benito Jacovitti (1923-1997) dans Cocco Bill (1957) puis dans Zorry Kid (1968), version burlesque de Zorro.
En Grande-Bretagne, les quotidiens populaires accordent une large place à la bande dessinée. Deux séries du Daily Mirror sont passées à la postérité : durant la Seconde Guerre mondiale, Jane, jeune femme que dessine Norman Pett (1891-1960) depuis 1932, retient l’attention à la fois pour son patriotisme et pour la facilité avec laquelle elle se déshabille ; en 1957, Reg Smythe (1917-1998) crée Andy Capp, où il caricature avec tendresse un ouvrier paresseux et machiste du nord de l’Angleterre.
La presse enfantine anglaise est marquée par un renouveau de l’hebdomadaire The Beano : Dennis the Menace (1951), un garçon espiègle dessiné par David Law (vers 1907-1971) provoque un engouement collectif et une exploitation commerciale qui dureront jusqu’à la fin du siècle ; Leo Baxendale (né en 1930) lui donne son équivalent féminin, Minnie the Minx (1953), et met en scène une bande de garnements, The Bash Street Kids (1954). Les lecteurs un peu plus âgés font un triomphe au journal Eagle, qui dès son premier numéro (1950) présente un des chefs-d’œuvre de la bande dessinée de science-fiction, Dan Dare, par Frank Hampson (1918-1985).
Ailleurs en Europe naissent deux séries qui deviendront les symboles de la bande dessinée dans leurs pays respectifs. Aux Pays-Bas, Marten Toonder (né en 1912) crée en 1941 dans De Telegraaf le petit chat Tom Poes, dont le compagnon, l’ours Bommel, finit par lui ravir la vedette. En Espagne, Francisco Ibanez (né en 1935) s’impose avec Mortadelo y Filemon, deux détectives totalement incompétents, apparus en 1958 dans la revue Pulgarcito.
Les États-Unis de 1945 à 1960
La grande presse
Avec la Seconde Guerre mondiale, les bandes dessinées publiées dans la grande presse américaine amorcent un lent déclin. À des auteurs qui n’ont déjà qu’un contrôle limité sur leurs œuvres (la profession est dominée par les syndicates, c’est-à-dire les agences qui placent les bandes dans les journaux), les éditeurs imposent désormais un format plus réduit, ce qui entraîne une simplification du dessin. Les bandes humoristiques souffrent moins de cette restriction, et la période voit deux créations marquantes : en 1948, Pogo par Walt Kelly (1913-1973), satire sociale et politique sous le couvert d’une bande animalière dont le personnage central est un opossum, et en 1950 Peanuts par Charles Schulz (1922-2000), qui transpose les problèmes psychologiques des adultes dans le monde des enfants.
Les « comic books »
Les comic books pour jeunes enfants se développent, influencés par le succès de Walt Disney. En 1942, Carl Barks (1901-2000) commence à travailler sur les séries mettant en scène le canard Donald (apparu en dessin animé en 1934). Il en fait un personnage aussi important que Mickey grâce à des comparses très réussis, comme l’oncle Picsou (Uncle Scrooge), vieil avare richissime (1947).
Par ailleurs, la prolifération, à partir de 1950, de comic books spécialisés dans des histoires d’horreur, notamment ceux édités par la compagnie E.C. Comics de William Gaines, comme Haunt of Fear ou Crypt of Terror, provoque une vive réaction de la part des couches conservatrices de la société américaine, que le maccarthysme de l’époque rend d’autant plus réceptives aux propos sur la nécessité d’un ordre moral. L’année 1954 marque à la fois l’apogée et le dénouement de la crise, avec successivement la publication du livre Seduction of the Innocent, dans lequel le psychiatre Frederic Wertham tente de démontrer que la lecture des comic books est l’une des causes de la délinquance juvénile, l’audition par une commission d’enquête sénatoriale de différentes personnalités du monde de la bande dessinée, et enfin l’acceptation par les éditeurs d’un ensemble de règles (Comics Code Authority) destinées à bannir de leurs publications les comportements sadiques et les scènes sanglantes.
La bande dessinée francophone des années 1960
Le rôle moteur du journal « Pilote »
À sa naissance, en 1959, l’hebdomadaire Pilote a manifestement pour modèle les journaux Spirou et Tintin, comme en témoignent, dès le premier numéro, ses deux bandes principales, Astérix, aventures comiques d’un guerrier gaulois, par Albert Uderzo (né en 1927) et René Goscinny (1926-1977), et Tanguy et Laverdure, une série d’aviation, également dessinée par Albert Uderzo, sur des textes du scénariste belge Jean-Michel Charlier (1924-1989). Cependant, sous l’impulsion de René Goscinny, qui en devient rédacteur en chef en 1963, Pilote s’adresse progressivement à de grands adolescents et à de jeunes adultes. Dès 1962, Cabu (Jean Cabut, né en 1938) donne avec Le Grand Duduche une vision sans mièvrerie du monde lycéen. L’année suivante débutent un western à la tonalité adulte, Blueberry, par Jean Giraud (né en 1938) et Jean-Michel Charlier, et le loufoque Achille Talon de Greg (le Belge Michel Regnier, 1931-1999). En 1965, Fred (Fred Othon Aristidès, né en 1931) propose avec Philémon des aventures oniriques. Dans Valérian (1967) Jean-Claude Mézières et son scénariste Pierre Christin (tous deux nés en 1938) composent des récits de science-fiction marqués par des idées proches de la gauche et de l’écologie.
Gotlib (Marcel Gotlieb, né en 1934) qui, comme son rédacteur en chef, a été fortement marqué par le magazine satirique américain Mad, fait preuve d’humour absurde dans sa Rubrique-à-brac (1968). À la fin de la décennie, Pilote occupe ainsi une place intermédiaire entre les illustrés pour enfants et les futures publications destinées aux adultes. Les journaux Tintin et Spirou sont déstabilisés, et René Goscinny, profitant de la semi-retraite d’Hergé, est devenu la figure centrale de la bande dessinée francophone. Il alimente en scénarios de nombreux dessinateurs, comme Jean Tabary (né en 1930) pour Iznogoud (1962), le vizir qui veut « devenir calife à la place du calife », et, sur le marché, les albums d’Astérix concurrencent à partir de 1965 ceux de Tintin.
Une bande dessinée qui s’émancipe
Un autre courant novateur est représenté par la revue Hara-Kiri, lancée en 1960 par François Cavanna et le futur « professeur Choron » (Georges Bernier). Cabu, Jean-Marc Reiser (1941-1983), Georges Wolinski (né en 1934) s’attaquent peu à peu aux tabous, ce qui ne passe pas inaperçu, puisque Hara-Kiri est frappé d’interdiction à trois reprises (en 1961, 1966 et 1970). L’éditeur Eric Losfeld provoque également des remous lorsqu’en 1964 il reprend en album Barbarella, une bande dessinée de science-fiction non exempte d’érotisme que Jean-Claude Forest (1930-1998) avait créée en 1962 dans V Magazine. Cette œuvre – qui aujourd’hui frappe surtout par sa fantaisie et son humour – devient symbolique de la libération des mœurs quand elle est adaptée au cinéma, en 1968, par Roger Vadim avec Jane Fonda dans le rôle titre.
Les bandes dessinées des années 1960 dans le monde
Italie
En Italie comme en France, des évolutions importantes se font jour au cours de cette décennie. À partir de 1962 se répandent des publications de petit format aux héros totalement amoraux (fumetti neri, c’est-à-dire « bandes dessinées noires »). En 1965 la ville de Bordighera accueille le premier festival international de bandes dessinées, et une nouvelle revue, Linus, innove en ne s’adressant qu’à un lectorat adulte. On y trouve notamment les aventures fantasmatiques de Valentina (1965) par Guido Crepax (né en 1933) et des adaptations brillantes de romans de Melville, Poe et Lovecraft par Dino Battaglia (1923-1983). En 1967, dans la revue génoise Sgt. Kirk, Hugo Pratt (1927-1995) publie La Ballade de la mer salée, point de départ de la série Corto Maltese.
Argentine
Avant de devenir célèbre avec Corto Maltese, Hugo Pratt avait déjà derrière lui une longue carrière, notamment en Argentine, un pays qui depuis le début du XXe siècle était acquis à la bande dessinée. Avec un scénariste exceptionnel, Héctor Oesterheld (1919-1977), qui disparaîtra tragiquement sous la junte militaire, Hugo Pratt avait réalisé le western Sgt. Kirk (1953). Héctor Oesterheld est aussi le scénariste d’Alberto Breccia (1919-1993), un des maîtres du noir et blanc, pour les histoires fantastiques de Mort Cinder (1962), un être immortel. Dans un genre plus léger, l’Argentine connaît un succès international avec Mafalda (1964), petite fille contestataire imaginée par Quino (Joaquin Lavado, né en 1932).
États-Unis
L’élimination des bandes dessinées d’horreur va permettre aux super-héros de dominer à nouveau les comic books. En quelques années, le dessinateur Jack Kirby (Jacob Kurtzberg, 1917-1994) et le scénariste Stan Lee (Stanley Lieber, né en 1922) remodèlent et enrichissent cet univers. En 1961 ils créent les Fantastic Four, quatre super-héros qui veillent sur l’humanité, l’année suivante Stan Lee imagine un homme-araignée, Spider-Man, dessiné par Steve Ditko (né en 1927), et en 1963, à nouveau associé à Jack Kirby, il donne vie aux X-Men, un groupe de mutants aux pouvoirs extraordinaires. En 1969, le dessinateur Frank Frazetta (né en 1928) donne avec Vampirella une version féminine de Dracula. Les années 1956-1969 seront vues a posteriori comme une nouvelle époque bénie pour les comic books, appelée par les spécialistes du genre silver age, un « âge d’argent », en référence à « l’âge d’or » (golden age) de la période 1938-1945.
La seconde partie de la décennie voit aussi l’émergence d’une bande dessinée qui s’inscrit dans un mouvement de contestation de l’idéologie américaine (chanteurs engagés, phénomène hippie, manifestations contre la guerre du Vietnam). Ce refus des valeurs traditionnelles, perceptible déjà au cours des années 1950 dans la revue Mad dirigée par Harvey Kurtzman (1924-1993), anime ces bandes dessinées, dites underground (souterraines) car elles sont produites en marge des structures habituelles d’édition et de diffusion. Les dessinateurs emblématiques de ce courant sont Robert Crumb (né en 1943), créateur de Fritz the Cat (1965), et Gilbert Shelton (né en 1940), qui avec les Freak Brothers (1967) raconte les tribulations de trois hippies surtout préoccupés par l’état de leur réserve de cannabis.
L’évolution de la bande dessinée, dans les années 1960, est bien sûr le reflet de l’évolution de la société : la bande dessinée, véhicule de notre imaginaire, est, probablement plus que bien d’autres moyens d’expression, révélatrice de ce que nous sommes. Ne serait-ce qu’à ce titre, elle devrait intéresser les sociologues d’aujourd’hui et les historiens du futur.
2. L’évolution de la bande dessinée de 1970 à 2001
L’âge d’or de la bande dessinée francophone (1969-1986)
Pendant une période d’une quinzaine d’années, que l’on peut faire débuter à la création en 1969 de Charlie mensuel, première revue française s’adressant à des adultes, et refermer en 1986, qui marque l’amorce du reflux de la presse spécialisée et le retour au premier plan d’œuvres américaines, la bande dessinée francophone est probablement la plus diverse et la plus créative du monde. La remise en cause de tous les cadres de la pensée qui est l’une des caractéristiques de la France de la fin des années 1960 et du début des années 1970 accélère le développement d’une bande dessinée délivrée des contraintes qui pesaient sur elle. La profession est en effervescence, la production intense, souvent brouillonne. Des auteurs, ivres d’une liberté nouvelle, vont jusqu’à fonder leurs propres revues pour échapper à leurs éditeurs. Les fanzines (petites revues amateurs) prolifèrent, et publient des bandes où la violence, la sexualité, l’engagement politique – et donc le plaisir de bousculer les tabous – tiennent une grande place. À côté de ces publications, souvent éphémères, des mensuels auront une influence durable : Charlie mensuel est suivi de L’Écho des savanes (1972), d’un nouveau Pilote (devenu mensuel en 1974) ; en 1975 naissent Métal hurlant, axé sur la science-fiction, et Fluide glacial, qui pratique un humour corrosif ; en 1978, les éditions Casterman lancent (À suivre), qui se veut « l’irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature ». La plupart des histoires publiées dans ces périodiques sont éditées ensuite en albums, ce qui n’était auparavant réservé qu’à quelques séries à succès.
Cette époque voit aussi la naissance de nombreux festivals (dont, en 1974, celui d’Angoulême), de librairies spécialisées, de revues d’études historiques (les deux plus importantes sont Hop ! et Le Collectionneur de bandes dessinées, fondées respectivement en 1973 et en 1977), et d’un début de reconnaissance officielle. Deux événements parisiens encadrent symboliquement cette période : l’exposition Bande dessinée et figuration narrative qui se tient en 1967 au musée des Arts décoratifs et la rétrospective sur la carrière de Hugo Pratt qui est montée en 1986 au Grand Palais. Enfin, la diversification de la bande dessinée est telle qu’il devient difficile de la considérer comme un bloc : il est clair qu’il n’y a plus une mais des bandes dessinées, qui n’ont parfois pas plus de rapports entre elles qu’un roman d’Albert Camus n’en a avec un roman de Boris Vian, ou un film de Jean Renoir avec un film de Jean-Luc Godard.
Bandes d’humour
L’esprit libertaire de l’époque élargit le concept même de bande dessinée humoristique, qui n’est plus simplement comique : s’y ajoute, selon les cas, la critique sociale, le militantisme idéologique, l’humour noir, l’humour absurde, la dérision des valeurs traditionnelles. Les utopies du temps se retrouvent chez Gébé (Georges Blondeau, né en 1929), auteur notamment de L’An 01 (1971). Jean-Marc Reiser (1941-1983) lancé par Hara-Kiri est un provocateur qui remet systématiquement en cause toutes les conventions. Cependant, son humour « bête et méchant » – mais surtout désespéré – n’est pas exempt d’émotions (Gros Dégueulasse, 1982). Claire Bretécher (née en 1940) se moque de ce que l’on appellera plus tard la « gauche caviar » dans Les Frustrés (1973). F’Murr (Richard Peyzaret, né en 1946) joue avec l’absurde dans Le Génie des alpages (1973), tribulations d’un troupeau de brebis « philosophiantes ». René Pétillon (né en 1945) crée en 1974 le calamiteux détective privé Jack Palmer, qui connaîtra la notoriété un quart de siècle plus tard, grâce à un album politiquement risqué, L’Enquête corse (2000). Christian Binet (né en 1947) caricature avec Les Bidochon (1977) la France (très) profonde, et Frank Margerin (né en 1952) campe avec Lucien (1979) un loubard au cœur tendre. Le Belge Philippe Geluck (né en 1954) distille à partir de 1983 les pensées du Chat. L’humour est franchement intellectuel – voire métaphysique – dans les albums de Daniel Goossens (né en 1954, et par ailleurs chercheur en informatique), comme La Vie d’Einstein (1980), et de François Boucq (né en 1955), père du loufoque Jérôme Moucherot (1983), qui travaille par ailleurs à plusieurs reprises avec le romancier américain Jerome Charyn (né en 1937), comme pour La Femme du magicien (1984).
Bandes d’aventures
Comme dans le domaine de la bande dessinée d’humour, les années 1970 voient l’apparition de quelques grands auteurs de séries d’aventures, qui vont dominer la fin du XXe siècle. Philippe Druillet (né en 1944) s’impose avec la série de science-fiction Lone Sloane, qu’il avait créée dès 1966 aux éditions Eric Losfeld, et se lance en 1980 dans une version futuriste du roman de Gustave Flaubert Salammbô. Jean Giraud, dessinateur du western Blueberry, commence une carrière parallèle en prenant le pseudonyme de Moebius pour des récits fantastiques (comme la bande muette Arzach, 1975) ou de science-fiction, souvent teintée de mysticisme (John Difool-L’Incal, 1980, sur des scénarios de l’écrivain et cinéaste d’origine chilienne Alejandro Jodorowsky né en 1929).
Les Suisses Cosey (Bernard Cosandai, né en 1950) et Daniel Ceppi (né en 1951) expriment leurs préoccupations tiers-mondistes (dans Jonathan, 1975, pour le premier, et Stéphane Clément, 1977, pour le second). Jacques Tardi (né en 1946) donne avec Adèle Blanc-Sec (1976) l’équivalent du roman-feuilleton fantastique en vogue au début du XXe siècle, et révèle dans C’était la guerre des tranchées (1982) son obsession des horreurs de la Première Guerre mondiale. Deux auteurs qui voient en Hugo Pratt leur maître, l’Italien Milo Manara (né en 1945) et le Belge Didier Comès (né en 1942), renouvellent le genre : Manara avec Giuseppe Bergman (1978), où l’intrigue est un jeu sur les conventions de la bande dessinée d’aventures, Comès avec Silence (1979), premier volet d’une œuvre qui s’attachera à montrer les rapports que certains initiés peuvent entretenir avec les forces de la nature. La fin de la décennie est marquée par l’émergence de François Bourgeon (né en 1945), qui devient le chef de file de la bande dessinée historique avec Les Passagers du vent (1979), aventures maritimes dont le thème est le trafic d’esclaves au XVIIIe siècle. Il est suivi dans cette voie par André Juillard (né en 1948) qui, avec le scénariste Patrick Cothias (né en 1948), compose avec Les Sept Vies de l’Épervier (1982) et des séries qui en dérivent de vastes fresques qui ont en arrière-plan l’histoire de France, des guerres de religion au règne de Louis XIII.
Les années 1980 n’ajouteront que peu de noms à cette liste. Enki Bilal (né en 1951 à Belgrade) devient le maître de la « politique-fiction » avec La Foire aux immortels en 1980 (première partie de La Trilogie Nikopol), où les dieux égyptiens font irruption dans un Paris du futur, et en 1981 avec Partie de chasse (scénanio de Pierre Christin), vision prémonitoire de la dégénérescence du communisme en Europe de l’Est. Sur des scénarios de Benoît Peeters (né en 1956), le Belge François Schuiten (né en 1956) dessine dans le cycle Les Cités obscures (1982) un monde parallèle où l’architecture tient un rôle essentiel. Son compatriote Yslaire (Bernard Hislaire, né en 1957) conte dans Sambre (1985) une histoire romantique qui se déroule pendant la révolution de 1848. Enfin, Jacques Ferrandez (né en 1955) commence en 1986 Carnets d’Orient, évocation de la présence française en Algérie, de la colonisation à l’indépendance.
Bandes juvéniles
Une des conséquences de la libération des mœurs et de la mixité scolaire est la disparition des illustrés réservés aux petites filles. Les nouveaux héros sont donc parfois des héroïnes. Le journal Spirou, par exemple, se féminise en 1970 grâce à deux auteurs belges, François Walthéry (né en 1946) et Roger Leloup (né en 1933), qui dessinent respectivement les aventures de l’hôtesse de l’air Natacha et de l’électronicienne japonaise Yoko Tsuno. La loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse n’est pas abrogée, mais elle n’est plus appliquée de façon aussi stricte et, paradoxe de cette époque faste, ce sont dans des revues théoriquement pour enfants que sont publiées deux séries considérées aujourd’hui comme parfaitement adultes. C’est en effet dans Pif (nouveau titre adopté en 1969 par Vaillant) que paraît pour la première fois en France Corto Maltese (1970) de Hugo Pratt, même si les jeunes lecteurs lui préfèrent à la fois Rahan (1969), homme préhistorique rationaliste dessiné par André Chéret (né en 1937) sur des scénarios de Roger Lécureux, et le gadget hebdomadaire, qui fait parfois vendre le journal à plus d’un million d’exemplaires. Et c’est dans Spirou que naît en 1984 la série d’espionnage XIII, où deux Belges, le dessinateur William Vance (William Van Cutsen, né en 1935) et le scénariste Jean Van Hamme (né en 1939), font évoluer un aventurier amnésique piégé par son passé. Dans Tintin, Van Hamme écrit déjà depuis 1977 pour le dessinateur polonais Grzegorz Rosinski (né en 1941) le scénario de Thorgal, un Viking d’origine extra-terrestre. Également écrivain, il a commencé à publier la même année la série de romans Largo Winch, qui a pour cadre le monde de la haute finance, et qu’il adaptera en bandes dessinées avec le dessinateur belge Philippe Francq (né en 1961) à partir de 1990.
Bandes érotiques
La fin des tabous éditoriaux entraîne la publication de bandes érotiques ou pornographiques. Dans les kiosques, il s’agit principalement des fascicules d’Elvifrance. De 1970 à 1992 cet éditeur, malgré le harcèlement de la commission de censure (qui prononce à son encontre 776 interdictions de mise en vente), publie de nombreux titres, dont le contenu est généralement le fait de dessinateurs italiens anonymes. Certaines séries ont des tirages importants (de l’ordre de 60 000 exemplaires par mois), comme Sam Bot (1973), Salut les bidasses (1975) ou Prolo (1978). Les albums vendus en librairie ont souvent des prétentions esthétiques, et sont parfois l’œuvre de dessinateurs talentueux, qui ont fait leurs preuves dans d’autres domaines, comme Milo Manara (Le Déclic, 1983), Paul Gillon (La Survivante, 1985) ou Daniel Varenne (né en 1939), auteur du récit post-atomique Ardeur (1979), et dont les œuvres érotiques témoignent d’une grande virtuosité graphique, comme Carré noir sur dames blanches (1984).
Les bandes dessinées des années 1970-1990 en Europe et en Amérique
Suède
En Suède se révèle un auteur inclassable, Gunmar Lundkvist (né en 1958), qui crée en 1979 Klas Katt, une bande animalière dont le protagoniste est un chat qui évolue dans un univers absurde et sans espoir, proche de celui mis en scène par Samuel Beckett.
Italie
Contrairement à la France, où les petits formats se raréfient, l’Italie conserve une bande dessinée populaire, présentée dans des fascicules noir et blanc bon marché. Les deux séries les plus célèbres, éditées par Sergio Bonelli, sont Martin Mystère (1982), l’histoire d’un archéologue aventurier, dessinée principalement par Giancarlo Alessandrini (né en 1950) sur des scénarios d’Alfredo Castelli (né en 1947), et Dylan Dog (1986), un détective confronté au surnaturel, série pour laquelle se relaient divers dessinateurs sur des textes de Tiziano Sclavi (né en 1955).
L’Italie est aussi le principal pays producteur et exportateur de bandes dessinées érotiques, qui connaissent parfois un succès international, comme Druuna (1985) de Paolo Eleuteri Serpieri (né en 1944) ou Les 110 Pilules (1986) de Magnus (Roberto Raviola, 1939-1996). Mais l’œuvre qui provoque le plus de remous est Ranxerox (1978) de Tanino Liberatore (né en 1953), dont le protagoniste est un androïde d’une grande violence. Plus classique, Vittorio Giardino (né en 1946) dépeint dans Max Fridman (1982) l’Europe à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les deux auteurs finalement les plus novateurs sont Massimo Mattioli (né en 1943), influencé par le pop art, et qui donne des parodies irrespectueuses de personnages de dessins animés américains (Squeak the Mouse, 1980), et Lorenzo Mattotti (né en 1954), qui fait régner la couleur dans Feux (1985).
Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, le dernier quart du XXe siècle est dominé par l’hebdomadaire de science-fiction 2000 AD (1977) et sa série principale, Judge Dredd, réalisée par de nombreux dessinateurs sur un scénario généralement écrit par John Wagner : la violence des personnages et la vision sans espoir qu’on y donne de l’avenir procure d’emblée à cette bande un retentissement considérable.
États-Unis
Les super-héros continuent à régner sur les comic books, et bénéficient de dessinateurs talentueux comme Neal Adams (né en 1941), le Canadien d’origine britannique John Byrne (né en 1950), Mike Magnola (né en 1962) ou Jim Steranko (né en 1938). L’année 1970 voit la naissance de deux événements qui deviendront annuels : la parution du Comic Book Price Guide de Robert Overstreet, tentative de recensement et de cotation de tous les fascicules parus, et la Convention de San Diego, où les fans peuvent rencontrer les professionnels.
Dans les quotidiens les bandes d’aventures continuent à décliner, mais quelques nouvelles séries d’humour sont de grandes réussites, comme Garfield (1978), un gros chat cynique, par Jim Davis (né en 1945), The Far Side (1979), réflexion sur les rapports entre les hommes et les animaux par Gary Larson (né en 1950), Calvin and Hobbes (1985), un jeune garçon et son tigre, par Bill Watterson (né en 1958), et Dilbert (1989) par Scott Adams (né en 1957), satire du monde de l’entreprise.
La production underground est marquée par les œuvres érotico-fantastiques de Richard Corben (né en 1940) comme Rowlf (1971) et Den (1984), et par le début de la publication, en 1980, de Maus, où Art Spiegelman (né en 1948) raconte, sous l’apparence d’une bande animalière, à la fois le génocide des Juifs de Pologne et ses relations difficiles avec son père. La parution en volume de la première partie de Maus en 1986 est saluée comme un événement culturel majeur.
La même année voit deux tentatives intéressantes pour renouveler le monde des super-héros : dans The Dark Knight Returns, Frank Miller (né en 1957) montre un Batman vieilli, doutant du bien-fondé de ses actions ; dans Watchmen (Les Gardiens), deux Britanniques travaillant prioritairement pour les États-Unis, le dessinateur Dave Gibbons (né en 1955) et le scénaniste Alan Moore (né en 1953), mettent au premier plan non pas les actions des personnages, mais leurs rapports psychologiques complexes.
Argentine
La fin de la carrière d’Alberto Breccia est brillante. Son Perramus (1984), réalisé avec l’écrivain Juan Sasturain (né en 1945) est l’itinéraire d’un amnésique perdu dans une dictature. Avec le scénariste Carlos Sampayo (né en 1943), un ancien élève de Breccia, José Munoz (né en 1942), crée Alack Sinner (1975), un détective privé évoluant dans des bas-fonds new-yorkais qui rappellent plutôt ceux de Buenos Aires.
L’irruption de la bande dessinée japonaise
Caractéristiques
La diffusion en Occident de dessins animés télévisés japonais avait été un signe avant-coureur : à la fin des années 1980 l’Europe et les États-Unis découvrent les bandes dessinées japonaises, ou mangas (le mot, qui aurait été forgé par le peintre Hokusai en 1814 avec le sens d’« images dérisoires », désigne aujourd’hui également les films d’animation). La bande dessinée japonaise est un monde très diversifié, mais les séries qui déferlent alors sur l’Occident s’adressent surtout à des adolescents, et ne sont pas forcément les meilleures, ce qui explique le peu de considération dans lequel la plupart des adultes la tiennent. Mais les adolescents apprécient dans ces œuvres le dynamisme du graphisme et des thèmes proches de leurs préoccupations et de leur sensibilité.
Au Japon même, c’est dès les années 1950 que les mangas sont devenus un phénomène de masse : ils sont alors une distraction bon marché dans un pays encore ruiné par l’effort de guerre. Au début du XXe siècle, le Japon est le plus gros producteur de bandes dessinées du monde. Les mangas représentent plus du tiers du marché de l’édition. Généralement très longs (parfois plusieurs milliers de pages), ils sont publiés, presque toujours en noir et blanc, dans des hebdomadaires épais (le plus connu est Shonen Jump, qui tire à environ 2,5 millions d’exemplaires) ou dans des séries d’albums de petit format, appelés tankobon. Les auteurs, qui doivent fournir parfois plusieurs dizaines de planches par semaine, travaillent souvent avec des collaborateurs. Le déclin de la bande dessinée juvénile est beaucoup moins sensible au Japon qu’en Occident, car un manga qui a du succès est automatiquement adapté en dessin animé télévisé et en film pour le marché de la vidéo : il n’y a donc pas rivalité, mais synergie. Contrairement à une opinion répandue en Occident, les mangas à caractère violent ou érotique sont minoritaires. L’histoire met souvent en scène un personnage, à l’origine banal, qui va subir un apprentissage, un parcours initiatique, et connaître des angoisses, parfois typiques de la culture poétique et religieuse japonaise (instabilité de l’Univers, menace de monstres et de cataclysmes, pertes d’identité des personnages, sentiment que toute réalité n’est que transitoire). Les rapports psychologiques entre les protagonistes forment un élément essentiel de l’intrigue. Quant au dessin, il est au service du récit : il doit faciliter la lecture, et non pas risquer de la ralentir, d’où, dans de nombreux cas, sa simplicité apparente.
Panorama historique
Les fondateurs
La bande dessinée japonaise existait bien avant sa découverte par l’Occident. C’est en 1914 que l’éditeur Kodansha fonde son premier illustré pour la jeunesse, et en 1923 apparaissent des phylactères dans Sho-Chan No Boken de Katsuichi Kabashima (1888-1965), histoire merveilleuse d’un petit garçon qui visite des mondes parallèles en compagnie de son écureuil.
Le premier manga célèbre est Norakuro (1931), un chien d’une bande animalière créée par Suiho Tagawa (de son vrai nom Nakataro Takamizawa, 1889-1989). Mais la bande dessinée telle qu’elle existe aujourd’hui est fondée dans les années 1950 par Osamu Tezuka (1926-1989). Son œuvre est immense, et toujours teintée d’humanisme, d’Astro Boy (1951), un robot du futur, capable d’émotions, à L’Histoire des trois Adolf (1983), sur la Seconde Guerre mondiale, en passant par Phénix l’oiseau de feu (1967), où il montre un monde gouverné par des machines, et Bouddha (1972), biographie de quelque 3 000 pages. Osamu Tezuka ouvre la voie à des œuvres au climat très sombre, comme en 1970 Kozure Okami (Loup solitaire) du dessinateur Goseki Kojima (1928-2000) et du scénariste Kazuo Koike, fresque tourmentée sur le Japon féodal, et en 1972 Gen, où l’auteur, Keiji Nakazawa (né en 1939), par ailleurs romancier, raconte l’explosion atomique d’Hiroshima, à laquelle il a assisté enfant.
Les principaux mangas de 1980 à 2001
Les années 1980 et 1990 sont marquées par une profusion de mangas pour adolescents, qui pour la plupart relèvent soit de l’anticipation, soit du fantastique, soit de l’histoire sentimentale, certains pouvant appartenir en partie à deux de ces catégories, voire aux trois.
Dans le domaine de la science-fiction, les grands succès sont Akira (1982), jeune seigneur de la guerre dans une mégalopole dévastée par un conflit nucléaire, de Katsuhiro Otomo (né en 1954), Ghost in the Shell (1991), où Masamune Shirow (né en 1961) pose le problème de la frontière entre le réel et le virtuel, et Blame ! (1999) de Tsutomu Nihei (né en 1971), récit violent et quasi muet sur un univers souterrain cauchemardesque.
Dans le genre fantastique se détachent Nausicaä, qui a pour cadre une forêt toxique (1982), manga créé par le futur auteur de films d’animation Hayao Miyazaki (né en 1941), Dragon Ball (1984) d’Akira Toriyama (né en 1955), longue quête de boules de cristal magiques, Saint Seiya-Les Chevaliers du Zodiaque (1986) de Masami Kurumada, transposition de mythes grecs, et Please Save my Earth (1987) de Saki Hiwatari, où les personnages prennent conscience de leurs vies antérieures.
Tout en exploitant la veine fantastique, des auteurs, généralement des dessinatrices, s’adressent prioritairement aux adolescentes à travers des intrigues où les sentiments des personnages – et parfois leurs relations amoureuses, plus ou moins avouées – ont une grande place. C’est le cas de Sailor Moon (1992) de Naoko Takeuchi (née en 1967), dont les héroïnes s’inspirent de la mythologie gréco-romaine, d’Angel Sanctuary (1994) de Kaori Yuki, conflit de pouvoirs entre anges et démons, de X (1996) du studio Clamp (dirigé par Nanase Okawa, née en 1967), combat entre deux conceptions opposées de l’avenir de la Terre, et d’Ayashi no Cérès (1996) où Yuu Watase (née en 1970) raconte l’histoire d’une lycéenne qui découvre qu’elle descend d’une nymphe céleste. La bande dessinée pour filles (shojo manga) a aussi un auteur masculin à succès, Masakazu Katsura (né en 1962), qui présente les méandres des amours adolescentes dans Video Girl Aï (198
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Messagepar Gaffophone » 29 Mai 2004 6:32

Ah oui en effet... c'est plus que copieux ! :shock:

En tout cas merci, je fais plutôt un Ctrl+C suivi d'un Ctrl+V dans Word et hop ! j'imprime le tout parce que lire autant de texte sur un écran, je n'y arrive pas. Il me faut une bonne vieille feuille :mrgreen:
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Messagepar Pacôme » 29 Mai 2004 7:38

Gaffophone a écrit:Ah oui en effet... c'est plus que copieux ! :shock:


Et imagine le temps qu'il ma fallu pour tout recopier de l'encyclopédie :lol2:
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Messagepar bulgroz » 08 Jan 2005 23:14

prejoris a écrit:Spirou, le journal dans lequel Franquin a travaillé de nombreuses années, lui rend hommage dans son hebdomadaire n°3067 du 22 janvier 1997...
Image
Vous y trouverez 5 pages sur cet être d'exception et un récit complet de 2 pages parues en 1957 "Le Marsupilami passe l'éponge".

j'ai et j'ai lu :D
pour le reste , je vais revoir les c+t ...
et imprimer :ok:
zednetta , aç av rinev
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Messagepar gastonlebret » 16 Sep 2005 17:54

Pacôme a écrit:
Gaffophone a écrit:Ah oui en effet... c'est plus que copieux ! :shock:


Et imagine le temps qu'il ma fallu pour tout recopier de l'encyclopédie :lol2:


t'as pas fais du copier collé ! :?
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Messagepar Pacôme » 16 Sep 2005 20:29

gastonlebret a écrit:t'as pas fais du copier collé ! :?


Au cas ou tu ne le saurais pas le :lol2: voulait dire que je plaisantais ;)
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Messagepar gastonlebret » 16 Sep 2005 20:49

Pacôme a écrit:
gastonlebret a écrit:t'as pas fais du copier collé ! :?


Au cas ou tu ne le saurais pas le :lol2: voulait dire que je plaisantais ;)


:lol2:
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Messagepar Capitaine Beaucoudeau » 18 Sep 2005 9:08

Alors là celui qui ne connaît pas Mr Franquin et qui souhaite le connaître n'a pas de souci à se faire avec ce topic. lol.
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Messagepar JLC » 29 Jan 2007 19:59

pffou j'ai fini de lire: é ben pacôme et préjoris vous avez du en mettre du temps pour taper tout ça, déjà que lire sa prend tu temps...mais c'est très instructif. Je tiens a rajouter une petite bricole.
citation de Franquin sur son premier dessin:
"Cest en lisant des histoires américaines que j'ai appris à dessiner comme à peu près tous les gars de ma génération. Peut-être aussi que ma vocation a été déterminée par un tableau noir. Un oncle m'avait offert un de ces tableaux d'écolier, une planche noire supportée par un trépied. Il s'est fait que mon père a été frappé par un gribouillage que j'y avait inscrit, un dessin à la craie représentant un chien qui respirait une fleur.
Mon père trouvait le dessin si beau qu'il est allé avec le tableau noir chez un ami photographe et qu'il l'a fait reproduire. Quand vous avez cinq ans et qu'on prend au sérieux votre oeuvre au point d'en faire une photo, ça vous fait un certain effet."
Vous pouvez voir ce la photo de ce dessin en tapant sur google image:"Franquin premier dessin"
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