David Turgeon a signé un article très intéressant intitulé
Spirou et ses lecteurs sur le site duo9.org, parlant de la mise en place de l'univers de Spirou par Franquin et ensuite des différents repreneurs.
En voici un extrait:
David Turgeon a écrit:En fait, Greg est le premier, avant Fournier, à avoir su travailler le système franquinien en le reconnaissant comme tel. Pas que Greg ait été le premier à fournir des scénarios à Franquin : mais c’était le premier à démontrer une compréhension aussi intime du matériel, compréhension qui ne saurait provenir que d’un lecteur assidu qui ne demande qu’une chose : investir l’univers de sa personnalité propre. Il donne aux personnages un début de conscience d’eux-mêmes (le fameux « Tu vieillis, Fantasio ! » du Prisonnier du Bouddha), quand il ne fait pas carrément dans l’auto-référentiel (la réaction de Marcelin Switch dans QRN lorsqu’il apprend que ses voisins ne sont autres que les vedettes du journal Spirou). Pour le reste, il se plie volontiers à la manière Franquin, à laquelle il apporte surtout un raffinement scénaristique supplémentaire. Cela dit il serait intéressant de relire les histoires longues d’Achille Talon pour voir si on n’y détecterait pas là aussi des emprunts structurels au Spirou franquinien...
Puis-je terminer cette thèse sur une nouvelle boucle ? C’est Franquin lui-même qui sera son propre lecteur lorsque, QRN sur Bretzelburg terminé, il sera laissé à lui-même, ne livrant plus que deux courts récits en presque dix ans, les Spirou les plus drôles mais aussi les moins orthodoxes de sa carrière, Bravo les Brothers et surtout Panade à Champignac. Dans ces deux histoires, Spirou et Fantasio ne sont même plus des aventuriers : bizarrement, ils travaillent pour le journal censé les mettre en scène (aurait-on imaginé la Princesse Diana reporter pour Paris-Match ?). Pire, dans Panade, c’est le système lui-même qui est sans dessus dessous. Franquin introduit d’emblée un malaise dans l’étrange relation Champignac-Zorglub, à laquelle nos héros se plient malgré un évident (et comique) embarras.
Il y a quelque chose de synthétique dans Panade qui est un peu analogue aux Bijoux de la Castafiore pour Tintin : Franquin suit un schéma qu’il connaît bien mais, aux inventions habituelles, il substitue une version travestie : la science est impuissante et le Comte est réduit à l’état de nounou ; le malfaiteur est un imbécile qui se piège lui-même à l’insu de nos héros ; même la Turbotraction a été remplacée par une modeste voiture sport ; et c’est le Marsupilami qui, plutôt que de sauver la mise au moment opportun (comme attendu de sa part), passe près de tout gâcher, ce qui nous donne le gag ultime, cette fausse « fin » qui met en scène la disparition fantasmée de Spirou et Fantasio (ici, c’est plutôt à l’Alph’Art qu’on pense). Au bout du compte, Panade à Champignac, c’est le premier véritable « one-shot » de la série. [5] Avec ce tome, Franquin aura inventé davantage qu’un système : il a aussi autorisé une relecture, pour tout dire, parfaitement iconoclaste de son propre système. [6]
Mais je vous conseille vraiment de lire l'intégralité de l'article, avec aussi des réactions constructives, notamment de Philippe Capart (
Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé).